Les États-Unis ont soutenu le massacre d'un demi-million d'Indonésiens en 1965
Par Max Walden
Des documents nouvellement déclassifiés ont réaffirmé que le gouvernement des Etats-Unis connaissait et avaient soutenu le massacre par l'armée indonésienne et les groupes d'autodéfense affiliés d'environ 500 000 à un million d'Indonésiens en 1965-1966.
Indonésie, juin 1971: prisonnières communistes présumées au camp de détention d'Adi Sucipto à Pontianak. Photo: Peter Schumacher / Tribunal populaire international pour 1965
Décrit par la CIA (Central Intelligence Agency) comme "l'un des pires meurtres de masse du 20ème siècle", le massacre de 1965 a été déclenché à cause d'une tentative de révolution en septembre de cette année par un groupe de généraux de gauche et les dirigeants du Parti communiste indonésien (PKI).
Grace à une "collaboration sans précédent" avec le National Declassification Center, des documents publiés mardi par les archives de la sécurité nationale de l'Université George Washington, montrent que le gouvernement américain avait "une connaissance détaillée" des massacres qui ciblaient les communistes, les gauchistes et les Indonésiens d'origine chinoise en répression de la révolution ratée appelée Mouvement du 30 septembre.
Le général Suharto dans les jours qui suivent la chute du mouvement du 30 septembre. Photo: Archives de la sécurité nationale
Ils précisent que l'ambassade des États-Unis à Jakarta enregistrait les noms de membres du PKI exécutés et "soutenait activement" les efforts de l'armée pour anéantir le parti communiste en Indonésie, le troisième en importance à l'époque. Un million d'autres communistes présumés ont été emprisonnés.
Au milieu de la guerre froide, cet événement a vu l'éviction de Sukarno et l'ascendant du général de droite Suharto qui gouvernerait ensuite le pays pendant 32 ans.
Des groupes de défense des droits humains, notamment la Commission indonésienne des droits de l'homme, Human Rights Watch et la Commission indonésienne pour les personnes disparues et les victimes de la violence (Kontras), ont longtemps préconisé la déclassification des dossiers américains.
La publication cette semaine de quelque 30 000 documents est également intervenue après que le sénateur américain Tom Udall ait présenté une résolution au président de l'époque, Obama, après avoir regardé les documentaires du réalisateur américain Joshua Oppenheimer, The Act of Killing et The Look of Silence, sur le massacre de 1965.
Un câble d'un agent consulaire américain à Surabaya a noté le "massacre" de milliers de membres du PKI dans l'est de Java par Ansor, l'aile paramilitaire de Nahdlatul Ulama (NU), qui reste la plus grande organisation musulmane d'Indonésie.
L'agent consulaire a raconté que des victimes avaient été égorgées, que des dizaines de corps flottaient dans les rivières locales et que 15,000 personnes avaient été assassinées dans un seul village. Les meurtres dans la région étaient commis sous la "coloration" d'être une "guerre sainte: tuer des infidèles" permettant aux bourreaux d'aller au paradis, a-t-il dit.
Les historiens et les activistes se sont longtemps documentés sur le rôle des États-Unis dans les atrocités en Indonésie. Fait révélateur, les États-Unis ont refusé de participer au Tribunal populaire international de 1965 à La Haye, aux Pays-Bas, dirigé par des groupes de la société civile en novembre 2015.
Le rapport final du Tribunal a conclu que: "Les Etats-Unis ont suffisamment soutenu l'armée indonésienne, sachant pertinemment qu'ils se lançaient dans un programme d'exécutions massives et d'autres comportements criminels, justifiant l'accusation de complicité de crimes contre l'humanité".
"La preuve la plus claire de ce crime est la fourniture de listes de noms de fonctionnaires du PKI [par la CIA aux autorités indonésiennes] quand il y avait une forte présomption que celles-ci faciliteraient l'arrestation et/ou l'exécution des personnes dénoncées."
Les documents publiés par les Archives de la sécurité nationale montrent également la sensibilisation américaine à la propagande et à la violence antichinoises, notamment une campagne concertée pour accuser la Chine communiste d'avoir été l'instigatrice du mouvement du 30 septembre et le ciblage des entreprises sino-indonésiennes chinoises à Surabaya par des groupes paramilitaires.
"Le gouvernement américain doit maintenant rendre public les documents restants, non seulement pour l'histoire de l'une des pires atrocités du 20ème siècle, mais aussi comme un pas en avant qui aurait dû être fait depuis longtemps pour apporter réparation aux victimes", a déclaré cette semaine Phelim Kine, directeur adjoint pour l'Asie de Human Rights Watch.
Site d'excavation d'une fosse commune du massacre de 1965 à Wonosobo, en Indonésie. Photo: Tribunal populaire international pour 1965
Le massacre de 1965 reste un sujet extrêmement tabou en Indonésie. Cela a encore été démontré le mois dernier lorsque des groupes ultranationalistes et islamistes ont assiégé un centre juridique communautaire à Jakarta parce que ce dernier avait organisé un événement pour les victimes du massacre.
Indonésie, le 29 septembre 2017: des groupes islamistes brandissent des bannières lors d'une manifestation anti-communiste devant le bâtiment du parlement à Jakarta. Photo: Reuters / Beawiharta
En 2012, la Commission indonésienne des droits de l'homme a publié ses conclusions d'une enquête de quatre ans sur le massacre mais le bureau du procureur général n'a jamais accepté ce rapport. Il n'y a pas encore de recours légal pour les victimes ou leurs familles.
"Le gouvernement américain peut aider le gouvernement indonésien à mettre en lumière les massacres de 1965-66", a déclaré Kine. "Une prise de responsabilité significative pour ces crimes odieux - y compris sur le rôle du gouvernement américain - exige la divulgation complète et la déclassification de toutes les informations officielles pertinentes."
Max Walden le 19 octobre 2017 pour Asian Correspondent
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