Catastrophe climatique et Extinction Rebellion

Publié le

Par Paul Street pour Counterpunch le 9 avril 2019

Photographie de Nathaniel St. Clair

Photographie de Nathaniel St. Clair

Au cours des dernières années de sa vie, Martin Luther King s’est élevé contre ce qu’il a appelé «les trois maux interdépendants»: l’inégalité économique, le racisme et le militarisme. Si King était encore en vie aujourd’hui, il parlerait de cinq maux interdépendants, en ajoutant le patriarcat et l’écocide, c’est à dire la destruction de l’écologie vivable. Il noterait également la montée dangereuse d’un nouveau fascisme national et mondial, liée à l’accession à la présidence d’un raciste malfaisant qui prend plaisir à accélérer l’autodestruction environnementale de l’humanité alors que les médias sont obnubilés par des questions de moindre importance.

On m'a posé trois questions aujourd'hui. La première question est la suivante : Comment avez-vous, en tant qu’historien, tracé la trajectoire du changement climatique au fil du temps? De quoi devons-nous nous inquiéter maintenant?

Permettez-moi de dire aussi poliment que possible que je n’aime pas l’expression «changement climatique». C’est trop tiède. Dites plutôt : «catastrophe climatique». Si un chêne géant est sur le point de s’effondrer sur votre petite maison, vous ne dites pas que vous risquez de changer de logement. Vous dites: «Merde nous allons mourir, il faut faire quelque chose vite.»

Je n’ai pas vraiment étudié le changement climatique en tant qu’historien. Je m’occupe de l’histoire des villes et du travail, pas de l’environnement. J’ai vraiment commencé à m’intéresser à la question du climat lors de la vague de chaleur, qu’on oublie souvent, à Chicago en juillet 1995. Elle a coûté la vie à des centaines de personnes, en grande majorité des Noirs.

Je compte sur les climatologues pour analyser les données chronologiques sur le réchauffement planétaire. Ce qu’ils nous disent n’est pas bon. Nous sommes à un tournant décisif pour la survie de l'humanité. C’est le problème le plus important de notre époque, ou de toute autre époque. Comme Noam Chomsky l’a dit à Occupy Boston il y a huit ans, si la catastrophe environnementale provoquée par le réchauffement de la planète n’est pas évitée au cours des prochaines décennies, rien de ce qui nous touche, nous qui sommes progressistes, égalitariens et pacifistes, n’aura d’importance.

En 2008, James Hansen de la NASA et sept autres scientifiques spécialistes du climat ont prédit une «disparition irréversible des glaciers et de certaines espèces» si la température moyenne de la planète s’élevait de 1°C, comme ils l’avaient prévu si la présence dans l’atmosphère de dioxyde de carbone atteignait 450 ppm (partie par million). Le CO2 était alors à 385 ppm. Selon Hansen, le seul moyen d’être sûr que le climat reste climat viable était de réduire les émissions de CO2 à 350 ppm.

Nous voici onze ans plus tard, bien au-delà de la ligne rouge de Hansen de 1°C. Nous sommes parvenus à 410 ppm, et non à 450. C’est le plus haut niveau de saturation en CO2 depuis 800 000 ans, 600 000 ans avant les premières traces fossiles d’homo sapiens. J'ai récemment assisté à un meeting de Extinction Rebellion au cours duquel il a été signalé que 22% de toutes les émissions de carbone d'origine humaine de l'ère industrielle avaient eu lieu depuis 2009, un an après que Hansen eut lancé son avertissement.

Le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts des Nations Unies sur les Changements climatiques (IPCC) reflète l’avis consensuel des plus grands climatologues du monde. Il nous indique que nous allons atteindre 1,5°C dans une douzaine d'années. L’IPCC avertit que le fait de ne pas réduire considérablement les émissions de carbone d’ici à 2030, aboutira à déclencher des catastrophes pour des centaines de millions de personnes.

L’IPCC constate qu’au rythme actuel nous atteindrons 4°C d'ici la fin du siècle. Ce qui signifie que la planète sera largement invivable. Le point de basculement vers une existence invivable a déjà été atteint pour des millions de personnes en Afrique sub-saharienne, dans le sous-continent asiatique et en Asie du Sud-Est, dans certaines régions d'Amérique centrale et dans d'autres régions où des migrations forcées à cause du climat sont en cours, avec des conséquences graves sur le plan économique.

De nombreux scientifiques spécialistes de la Terre trouvent le rapport de l’IPCC insuffisamment alarmiste. Il omet les recherches qui démontrent la probabilité que des points de basculement climatologiques irréversibles, tels que le dégel du permafrost riche en méthane, puissent se produire en «quelques décennies seulement».

Nous ne savons vraiment pas à quelle vitesse cette menace existentielle peut se déployer. C’est une expérience totalement nouvelle. De quoi avons-nous à nous soucier? De l’extinction. L’espérance de vie actuelle des femmes aux États-Unis est de 81 ans. Une petite fille née cette année devrait théoriquement atteindre l'âge de 81 ans en 2100, année où, à la vitesse d’émission des gaz à effet de serre, l'Antarctique aura fondu et la forêt fluviale amazonienne aura cessé de fonctionner comme le poumon de la planète.

Les organisateurs de la conférence m'ont également demandé de discuter des «connections entre le changement climatique, les inégalités de classe et l'impérialisme» et d’indiquer les raisons pour lesquelles «cette interdépendance est souvent passée sous silence». Permettez-moi d'être aussi bref que possible parce qu’il y faudrait une thèse de doctorat ou deux. Les éco-marxistes comme John Bellamy Foster ont raison à propos du capitalisme. Ce n'est pas simplement un système basé sur des disparités de classe, mais également sur la domination de la ploutocratie et des fonds de placement, la domination des propriétaires et des gestionnaires de capital. Et cette domination de la classe capitaliste engendre un certain nombre de problèmes environnementaux.

Le premier, c’est que les propriétaires et les gestionnaires de capital ne se préoccupent vraiment que de l’accumulation de capital et de profit. Ils se sentent, de par le système, tenus de commercialiser tout ce qui leur passe sous la main. Ils ont toujours profité de tout, et en tirent satisfaction. Ils profitent de l'esclavage, du fascisme, des incarcérations de masse, des guerres interminables et même de la transformation de la planète en une gigantesque chambre à gaz à effet de serre - un crime qui par comparaison fait que les crimes nazis, honnêtement, semblent bien petits.

Le deuxième problème est que les propriétaires et les gestionnaires de capital évincent en permanence des masses de gens des emplois rémunérés, les privent de sécurité sociale et des terres communes, des écoles publiques et des logements sociaux. Et à la pauvreté de masse résultant de ce processus d’exclusion la seule solution qu’ils offrent depuis toujours est la promesse de nouveaux emplois grâce à une expansion et une croissance toujours plus grandes, c’est à dire une catastrophe environnementale à plusieurs niveaux.

Le troisième problème est que Wall Street et Bond Street et LaSalle Street, ainsi que le reste des grands centres financiers et boursiers, ont d'énormes investissements fixes et irrécupérables dans un vaste complexe industriel du carbone. Ils ne veulent pas voir ce portefeuille géant dévalorisé par les homo-sapiens qui choisissent de survivre en laissant les combustibles fossiles dans le sol, là où ils appartiennent.

Le quatrième problème est que le capital est intrinsèquement et systématiquement opposé et se sent menacé par une planification sociale, publique et environnementale pensée à une échelle suffisante pour permettre à l'humanité de se passer des combustibles fossiles et de passer aux énergies renouvelables et à des pratiques environnementales globalement durables.

Cinquièmement, le pouvoir isole les principaux décideurs des pires conséquences environnementales de leur système dépendant de la croissance. Au moment où les personnes vivant dans les bulles de la classe dirigeante commencent à ressentir une menace existentielle pour eux-mêmes, il est généralement trop tard pour qu’ils puissent faire quoi que ce soit, hormis se rabattre sur des mesures telles que tenter de convaincre le gars de Tesla de les envoyer sur Mars ou de télécharger toute leur science dans un satellite d'Intelligence Artificielle qui parcourra la galaxie pour l'éternité.

Avec l'impérialisme, les liens sont moins abstraits. Consommant plus de la moitié des dépenses discrétionnaires du gouvernement fédéral et alimentant plus de 1000 installations militaires dans plus de 100 pays, le système du Pentagone lui-même a la plus grande empreinte carbone de tous les complexes institutionnels de la planète. Le soi-disant budget de la défense vole des milliards de dollars qui devraient être consacrés aux infrastructures vertes et aux emplois verts si nous voulons réduire les émissions de carbone à une échelle viable. Dans le même temps, la superpuissance mondiale américaine dépend depuis longtemps du contrôle exercé par les États-Unis sur les réserves mondiales de pétrole et de gaz : un pouvoir économique et géopolitique remarquable qui permet de contrôler le flux, la tarification et la valeur monétaire de ces réserves et les super profits résultant de leur extraction et de leur vente. Le contrôle pétrolier a longtemps été une source d’influence américaine essentielle dans le système mondial. (Le fait que les États-Unis d’Obama aient obtenu leur soi-disant indépendance énergétique en accélérant la fracturation et le forage dans leur pays ne change pas la stratégie globale. Il n’a jamais été question en premier d’avoir du pétrole pour nos voitures, nos camions et nos installations. La question cruciale est l’importance accordée au contrôle du pétrole par Washington). Une planète qui dépendrait de l'énergie renouvelable plutôt que du pétrole pour gérer ses économies serait moins sensible à ce type de domination impériale.

Pourquoi ces interdépendances sont-elles négligées? Parce qu’il s’agit de média capitalistes et que leurs sponsors ne tiennent pas à parler des rapports entre le capitalisme et son jumeau pervers l’impérialisme avec l’intérêt des personnes, y compris, dans ce cas, l’intérêt de l’ensemble des personnes vivant sur la planète.

La dernière question qui m’a été posée est celle-ci: «Quelles solutions efficaces et quelles stratégies politiques proposez-vous?» Ce n’est pas ce que vous demandez, mais je tiens à dire six choses concernant la voie à suivre. Premièrement, il existe toute une panoplie d’informations à utiliser pour contrer les arguments classiques des «coûts/profits» qui font que nous ne pourrions pas nous permettre de mettre en œuvre un New Deal vert, national et mondial, que le passage à l’énergie renouvelable serait une cause de chômage. Ces deux arguments sont faux. Les technologies sont disponibles et abordables. Les emplois verts paient et continueront de payer mieux que les emplois liés aux énergies fossiles. J'ai des sources que je serai heureux de partager sur tout cela.

Deuxièmement, nous ne pouvons pas nous permettre de NE PAS faire la transition. Il est tristement hilarant d'entendre des commentateurs de droite, démocrates et républicains, avancer des analyses catégoriques sur le rapport coûts/profits de ce New Deal vert si effrayant. Que vous pensiez ou non que le New Deal vert est assez radical pour changer les choses, au moins les New Dealers verts parlent-ils sérieusement de l’importance de conserver une terre vivable. Il semble que la société devrait accepter d’assumer des coûts importants pour assurer la survie de l'espèce. C’est un cliché vert mais c’est vrai: il n’y a pas de travail sur une planète morte. Il n'y a pas d'économie sur une planète morte.

Troisièmement, nous devons être prêts à parler des emplois verts, de ce qu'ils font, de ce qu’ils pourraient rapporter et de la manière dont nous pourrions créer des systèmes de sécurité sociale pour les travailleurs du secteur des combustibles fossiles, si nous voulons faire accepter la reconversion environnementale à la population. La droite capitaliste du carbone, Exxon-Mobil-Donald Trump-Joe Manchin, a propagé l'idée que la transformation verte est un effroyable destructeur de travail géant. Nous devons contrer cette revendication de manière à montrer que nous comprenons et tenons compte des préoccupations de la majorité de la classe ouvrière.

Quatrièmement, nous devons être des existentialistes, non des catastrophistes. Ne nous occupons pas de la boule de cristal. Ne nous  soucions pas de savoir quelles sont les chances de réussir. Ne cherchons pas à parier sur la transformation verte. Peut-être que les chances sont de 1 sur 10. Peut-être plus. Ce n'est pas grave. Les chances sont de 0 sur 10 si nous ne prenons aucune mesure. Laissez Vegas s’occuper des paris. Nous sommes sur le terrain de l'action.

Cinquièmement, Howard Zinn avait raison. Il ne s’agit pas seulement de savoir qui siège à la Maison Blanche, à la résidence du gouverneur, au bureau du maire ou au siège du conseil municipal. C'est aussi et avant tout de savoir qui est assis dans les rues, qui perturbe, qui sabote, qui a du capital oisif, qui occupe les chantiers de construction du gazoduc, les autoroutes, les lieux de travail, les mairies, les quartiers financiers, les sièges sociaux et les universités. C’est bien éloigné des extravagances électorales des principaux médias centrées sur les candidats dans deux ans ou dans quatre ans, qui nous sont vendues comme «politiques» - comme la seule politique qui compte. C’est vrai de la lutte contre la violence policière raciste. C’est vrai en matière de droit du travail et de salaires décents. C’est vrai pour tout cela et plus encore et c’est vrai pour préserver l’écologie vivable.

Sixièmement, connaissez vos ennemis climatiques. Si vous pensez que ce ne sont que les républicains éco-fascistes, vous vous trompez beaucoup. Oui, contrairement à Donald Trump, Barack Obama n’a pas nié l’existence d’un réchauffement climatique dû à l’homme, et même dû au capitalisme. Mais alors quoi? Comme le notaient Kevin Zeese et Margaret Flowers l’année dernière, «Obama a assoupli les accords climatiques mondiaux et accru la production de pétrole et de gaz ainsi que leurs infrastructures aux Etats-Unis… Sous la présidence d’Obama, a eu lieu la plus forte augmentation de production de gaz  dans l’histoire, la production de pétrole brut a augmenté de 88%, c’est le  taux le plus rapide en 150 ans d’histoire de l’industrie pétrolière américaine.» Obama s’en est vanté l’an dernier devant un groupe de dirigeants du secteur pétrolier au Baker Institute.

Votez si vous pensez que cela fera une différence mais ne vous fiez pas aux discours politiques électoraux faussement représentatifs, qui représentent de longue date le cimetière des mouvements sociaux américains. Devenez Gilet Jaune ou Gilet Vert. Enfilez vos gilets jaune, vert, rouge ou noir. Apprenez à construire des barricades. Étudiez la désobéissance civile. Rejoignez la grande Extinction Rebellion, qui ouvre un nouveau chapitre dynamique à Chicago et qui fera des vagues ici et dans le monde entier cette année. Rappelez-vous les paroles de Mario Savio: «À un moment donné, le fonctionnement de la machine devient si odieux et vous fait tellement mal au cœur que vous ne pouvez plus participer! Vous ne pouvez même plus participer passivement! Vous devez mettre votre corps sur les leviers de vitesse et sur les roues, sur les leviers, sur tout l'appareil - et vous devez l'arrêter!»

Si vous attendez un politicien d’élite pour réparer ce gâchis écologique, vous risquez d’attendre bien au-delà de la date d’extinction de l’humanité.

Le dernier livre de Paul Street est They Rule: The 1% v. Democracy (Paradigm, 2014)

Lien de l’article en VO:

https://www.counterpunch.org/2019/04/09/climate-catastrophe-and-extinction-rebellion/

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article