Pour le survivant d'un génocide, il est si difficile de dormir

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Il y a cinq ans, Majhor Abbdullah Hagi a été témoin du massacre de milliers de ses compatriotes yézidis par des membres de l’Etat Islamique (ISIS). Il est actuellement au Royaume-Uni, et se bat pour accéder à une nouvelle vie, sans persécution.

Par Zozan Yasar pour The Guardian le 20 juin 2019

Majhor Abdullah Hagi à Penzance (Photographie: Zozan Yasar)

Majhor Abdullah Hagi à Penzance (Photographie: Zozan Yasar)

«Je suis extrêmement déçu par le manque de soutien du gouvernement à un survivant du génocide, mais je suis en même temps très reconnaissant envers le peuple britannique pour sa gentillesse», a déclaré Majhor Abbdullah Hagi, demandeur d'asile au Royaume-Uni.

En tant que membre de la minorité religieuse yézidie, Majhor a survécu au génocide (reconnu en tant que tel par les Nations Unies) qui s'est déroulé dans son lieu d'origine, Shingal, dans le nord de l'Irak. Sa situation actuelle est précaire, car il court le risque d'être déporté en Irak. Et pendant ce temps, Majhor n'est pas éligible à un logement ni à aucun autre soutien gouvernemental, il lui est interdit de travailler ou d'étudier.

Il vit à Penzance, Cornwall, depuis un an. Le Home Office a rejeté sa demande d'asile et il est sans abri, bien qu'il ait jusqu'à présent survécu grâce au soutien d'un activiste local. Lorsque je l'ai rencontré, récemment, Majhor a évoqué à la fois le génocide auquel il a assisté en Irak et sa lutte pour obtenir le droit d'asile au Royaume-Uni.

Une nuit de 2014, l’Etat Islamique a attaqué la région de Shingal et a abattu 6000 Yézidis, que le groupe intégriste considérait comme des infidèles. Le groupe enleva leurs enfants, afin de les endoctriner et força les femmes à servir des esclaves sexuelles. «C’était la panique générale, tout le monde criait. Il y avait des coups de feu dans tous les sens, et beaucoup d’enfants, de personnes handicapées, de personnes âgées», dit Majhor en racontant l’attaque de sa ville par Daesh. «Ils ont emmené les femmes et les enfants, puis ils ont conduit les hommes dans un autre endroit où ils les ont tués et enterrés dans des fosses communes. Ensuite, ils ont séparé les femmes de leurs enfants, ceux-ci ont été utilisés comme futurs soldats pour l’Etat Islamique.»

Au cours des cinq dernières années, la moitié seulement des personnes détenues par Daesh ont réussi à s’échapper, parfois avec le soutien du gouvernement régional kurde en Irak et des unités de protection du peuple kurde (YPG) en Syrie. Plus de 75 fosses communes ont été découvertes à Shingal et dans les villages environnants. Le destin des autres reste en grande partie inconnu.

Les Yézidis ont été victimes de 74 massacres au cours des siècles simplement à cause de leur religion. L'idéologie de ceux qui les entourent les expose à un risque extrême de nouveau génocide. Majhor affirme que les yézidis «ne font jamais de mal à personne. Ce n’est pas autorisé, même si votre ennemi vous attaque et vous fait du mal. Si vous le pouvez, vous devez les traiter sans violence». Pour lui, l'humanitarisme doit prévaloir avant tout.

Majhor a perdu sa famille, ses parents et ses amis lors de l'attaque de l’Etat Islamique. Comme beaucoup d'autres survivants, il a séjourné dans un camp de personnes déplacées au Kurdistan irakien. En raison des mauvaises conditions de vie et du sentiment d'insécurité persistant, il a quitté l'Irak et a traversé la frontière turque avec l'aide de passeurs. Après un dangereux voyage en Europe, il a rejoint des milliers d'autres réfugiés sur le site sauvage de réfugiés de Calais, connu à l'époque sous le nom de "jungle".

Pendant environ deux mois, Majhor est resté à Calais, où «il était très difficile de vivre en tant que yézidi. La jungle était divisée en différentes communautés - Kurdes, Turcs, Afghans, Arabes - et la majorité était musulmane.» Il décrit comment lui-même et un ami yézidi ont été attaqués par 50 habitants du camp pour ne pas avoir été prier à la mosquée. «Ils nous ont posé des questions sur l’islam, et après avoir découvert que nous étions yézidis, ils nous ont amenés dans une caravane et nous ont sévèrement battus. Puis un incendie s'est déclaré. Heureusement, la police et l'armée étaient présentes, mais ces gens nous ont dit qu'ils reviendraient plus tard pour nous tuer.

Après que leurs assaillants les aient laissés seuls, les deux hommes ont cassé la porte et se sont échappés par l'arrière du camp. Ensuite, Majhor s'est rendu au Royaume-Uni, dans un camion, à l'intérieur d'une petite caisse, qui, dit-il, n'aurait pu accueillir qu'un enfant. Il l'a vidée, est entré et l'a refermée de l'intérieur. «J'ai toujours mal au genou et à l'épaule», dit-il. Après 16 heures passées dans le camion, Majhor est arrivé au Royaume-Uni, où il se trouve depuis novembre 2016.

 Majhor Abbdullah Hagi à Cornwall (Photographie: Zozan Yasar)

Majhor Abbdullah Hagi à Cornwall (Photographie: Zozan Yasar)

Majhor pensait qu'une fois arrivé au Royaume-Uni, en tant que survivant d'un génocide, il serait bien traité. Il espérait que le Home Office lui accorderait rapidement l'asile et s'occuperait de lui. Mais au lieu de cela, il a été interrogé pendant près de sept heures et on lui a posé de nombreuses questions sur le déroulement du génocide, sur sa religion, sur la situation en Irak, comment il était arrivé au Royaume-Uni. «Beaucoup de questions sur toutes sortes de choses.»

Le ministère de l'Intérieur a dénombré 15 motifs de rejet de sa candidature, affirmant qu'il avait la possibilité de s'installer dans les villes irakiennes de Bassorah et de Bagdad ou dans d'autres pays. Majhor explique que, avant la guerre, Shingal était peuplé à 90% de yézidis et à 10% de musulmans.

«Pendant l'attaque, les 10% de musulmans se sont ralliés à l’Etat Islamique et ils ont participé aux massacres. Alors, comment serait-il possible pour moi de vivre dans une communauté à 100% musulmane? C'est impossible, au moins psychologiquement. En tant que survivant du génocide, il est très difficile même de dormir. Vous revivez le génocide chaque nuit et la perte de notre peuple. Psychologiquement, c'est une torture».

Auparavant, Majhor avait été étonné du manque d'intervention des pays occidentaux alors que Daesh envahissait sa ville. «Ils ont une puissance énorme, avec toutes ces armées, tous ces avions – et ils n’ont même pas essayé d’aider ces femmes qui ont été capturées par l’Etat Islamique», dit-il. Maintenant, il est également déçu par l’absence de soutien du gouvernement britannique pour son peuple. Il déplore que le gouvernement donne de l'argent au gouvernement régional du Kurdistan et au gouvernement irakien pour protéger les yézidis, au lieu de traiter directement avec le peuple yézidi. «Même le gouvernement britannique ne pense pas que les yézidis ont le droit de mener leur propre vie.»

«J'aimerais que le gouvernement britannique écoute les personnes persécutées par Isis et qui ont dû fuir. Il me semble qu'ils ne croient pas aux récits des victimes», ajoute-t-il, évoquant sa propre situation lorsque le Home Office britannique a rejeté sa demande d'asile.

Mahjor est sans abri et il n'est pas autorisé à travailler. Pour lui, il n'y a guère de différence entre la manière dont les gouvernements britannique et irakien l'ont traité. Mais, dit-il, «les Britanniques sont vraiment gentils. Vous pouvez trouver des milliers de personnes comme Anne» - il parle d'Anne Norona, directrice de l'association caritative Yezidi Emergency Support, qui aide les yézidis déplacés au Moyen-Orient et en Europe. Majhor considère que les Britanniques sont «charmants et serviables.» Il pense que ce sont les gens ordinaires et non pas le gouvernement qui représentent «le vrai visage du Royaume-Uni.»

Après deux ans et demi passés au Royaume-Uni, Majhor pense avoir retrouvé un peu de stabilité et de sécurité et atteint certains de ses objectifs. Mais il n’oublie pas à quel point le gouvernement lui rend les choses difficiles. «J'ai beaucoup souffert au Royaume-Uni. J'étais presque prêt à me suicider et si Anne ne m'avait pas trouvé, je ne serais probablement pas ici pour le dire maintenant.» Majhor a perdu confiance dans l'engagement des gouvernements occidentaux en faveur des droits de l'homme. Pour lui, la question est la suivante: si le gouvernement britannique n’accorde même pas sa protection aux yézidis ici, au Royaume-Uni, comment pourraient-ils être protégés en Irak?

Cela fait un an que le Home Office a rejeté la première demande d’asile de Majhor et lui a dit qu’il n’avait plus le droit de bénéficier de l’aide de l’État. Après qu'Anne Norona lui ait ouvert sa porte, et lui ait proposé de rester chez elle jusqu'à ce qu'ils trouvent une solution, il a trouvé un avocat et présenté une nouvelle demande d'asile. Près de dix mois plus tard, il attend toujours la réponse du Home Office. Il craint d'être à nouveau refusé et craint que l'expulsion ne soit l'une des options envisagées.

Selon Norona, des demandeurs d'asile tels que Majhor sont à la merci d'un système d'immigration débordé. «Ce ne sont pas seulement des victimes du génocide, mais aussi des victimes de notre système anti-immigration, qui est de plus en plus hostile», m'a-t-elle dit. «Les tribunaux et le Home Office semblent avoir fort peu conscience de la souffrance, de l'oppression et des persécutions systématiques.»

Mahjor attend maintenant son dernier entretien pour sa demande d'asile, qui aura lieu en juillet. «Je ne suis pas autorisé à travailler ni à étudier, cela m’atteint psychologiquement», dit-il. «Je pense constamment à ce qui s'est passé, à l'attaque de l’Etat Islamique. Je revis la situation chaque jour parce que je n’ai rien d’autre à faire que rester assis ici et attendre.»

Lien de l'article en anglais:

https://www.theguardian.com/the-guardian-foundation/2019/jun/20/as-a-survivor-of-a-genocide-it-is-so-difficult-to-sleep

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