Au-delà d'Obama et de Bernie ‘Que pouvons-nous faire?’

Publié le

Par Paul Street pour Counterpunch le 4 octobre 2020

Obama et Bernie Sanders (Source de la photo: Photo officielle de la Maison Blanche par Pete Souza - CC BY 2.0)

Obama et Bernie Sanders (Source de la photo: Photo officielle de la Maison Blanche par Pete Souza - CC BY 2.0)

Barack Obama, alors qu’il n’était encore que le futur propriétaire de la NBA, affirme: «Voter est l'action la plus importante que nous puissions entreprendre.»

L'une des missions principales du Parti démocrate aujourd’hui est d’empêcher les gens d’aller dans la rue, quelle que soit l'urgence pour les masses d'envahir les routes, les trottoirs, les mairies et les places publiques du pays.

Alors que l'État américain en déroute s'enfonce toujours plus dans une catastrophe apocalyptique et autoritaire qui se prépare depuis de nombreuses décennies, Barack Obama dit aux jeunes que «la meilleure façon de protester est de voter». C'est n'importe quoi. Comme l'historien radical Howard Zinn l'a noté, dans son essai de mars 2008 intitulé «La folie des élections», alors que l’Obamania se répandait dans l'électorat démocrate: «La frénésie électorale s'empare du pays tous les quatre ans parce que nous avons tous été élevés dans la croyance que voter est crucial pour déterminer notre destin, que l'acte le plus important qu'un citoyen puisse entreprendre est d'aller aux urnes et de choisir l'une des deux médiocrités déjà choisies pour nous. C'est un test où le choix est si étroit, si spécieux, qu'aucun enseignant qui se respecte ne le ferait passer à ses élèves… Historiquement, le gouvernement, qu'il soit aux mains des Républicains ou des Démocrates, des conservateurs ou des libéraux, a manqué à ses responsabilités, jusqu'à être forcé d’y faire face par l’action directe: des sit-in et des Marches de la liberté pour les droits des Noirs, des grèves et des boycotts pour les droits des travailleurs, des mutineries et des désertions de soldats pour arrêter une guerre… Voter c’est facile et utile à la marge, mais c’est un pauvre substitut à la démocratie, qui nécessite l’action directe des citoyens concernés.

La remarquable rébellion à propos de George Floyd, la plus grande vague de protestation de l'histoire américaine, a obligé Obama à reconnaître brièvement que les gens dans la rue représentaient une part de pouvoir, mais en précisant que le vote est toujours le plus important.

Obama a réitéré ce conseil lors des funérailles du Membre du Congrès John Lewis. Là, Obama a minimisé l'importance du mouvement social au-delà du cycle électoral de protestation - le type d'engagement politique qui avait amené John Lewis sur la scène de l'histoire [1] - en disant à son auditoire que «le droit de vote» est «l’outil le plus puissant dont nous disposions» et que voter est «l’action la plus importante que nous puissions accomplir au nom de la démocratie».

De la même manière, Obama conseilla à Lebron James, la super star du basket, d’annuler la grève en soutien au mouvement Black Lives Matter décidée par les joueurs de la National Basketball Association (NBA), qui, avaient déclaré avec force ne pas vouloir, en tant qu’hommes noirs, offrir leurs corps en spectacle à l’Amérique blanche, alors que des corps noirs étaient régulièrement assassinés et mutilés par des flics blancs et des justiciers racistes. C’est ainsi qu’on put voir ou entendre à la télévision et sur Internet des joueurs de la NBA, présenter, l’un après l'autre, le bulletin de vote "Votez!" - comme solution aux maux de l'Amérique.

Accessoirement, on sait qu’Obama, qui est passionné de sport, envisage de convertir une partie de son hyper-richesse post-présidentielle – la récompense pour huit ans au service consciencieux de ses maîtres de Wall Street à la Maison Blanche - en une part de la propriété d'une franchise NBA.

Comme Zinn le savait, on n'a pas à choisir entre voter et protester. Le problème est que la «folie électorale» a tendance à l'emporter (en anglais :‘trump’, pardonnez le jeu de mot) sur les mouvements sociaux, avec des millions de personnes qui ne descendent pas dans la rue parce qu’elles ont la certitude fantastique qu'elles contribuent significativement à la direction de la nation en faisant de petites croix à côté des noms sélectionnés à l'avance pour eux par la classe dirigeante une fois tous les deux ou quatre ans.

«Je parle d'un sens des proportions qui se perd dans la folie électorale. Est-ce que je veux soutenir un candidat plutôt qu’un autre? Oui, pendant deux minutes - le temps qu'il faut pour abaisser le levier dans l'isoloir. Mais avant et après ces deux minutes, il faut consacrer tout notre temps, toute notre énergie à éduquer, secouer, organiser nos concitoyens sur les lieux de travail, dans les quartiers, dans les écoles.» (Zinn, Election Madness).

Les grands spectacles électoraux, centrés sur les candidats des grands partis, qui s’échelonnent dans le temps, sont régulièrement vendus comme de la «politique», la seule «politique» qui compte. Les deux côtés de la dichotomie protestation-vote ne sont pas équilibrés.

En cours, un effondrement de la démocratie

L'actuel et effrayant spectacle électoral quadriennal constitue un test intéressant pour les citoyens: l’action politique se résume-t-elle à voter, à seulement voter? Il s’agit en effet d’une élection différente de toutes les autres dans l'histoire américaine moderne. Nous avons un président, aspirant dictateur fasciste, qui s’attaque même au processus électoral, pourtant respecté dans tout le pays. La menace de Trump de détourner les élections de 2020 représente un grave danger, qui a une chance importante de succès si les gens ne vont pas au-delà du simple vote. Comme Umair Haque l'explique dans une discussion récente sur les raisons pour lesquelles un «effondrement complet de la démocratie» n'est PAS «un événement à faible probabilité» dans un pays où la «démocratie» électorale est depuis longtemps gravement affaiblie: «Trump a une  stratégie complexe, sophistiquée, méticuleuse et à plusieurs niveaux  pour terminer le travail de destruction de la démocratie américaine. Pour ceux d'entre nous qui ont déjà vécu tout cela, c'est par excellence un plan de bataille, extrêmement bien conçu, soigneusement pensé, méticuleusement planifié, répétitif, cohérent. Cela devrait vraiment vous faire frissonner. Car c’est évident, pour tous ceux qui veulent bien regarder. Il se compose de cinq éléments liés les uns aux autres :

 «Premièrement, délégitimer le vote. Deuxièmement, refuser un transfert de pouvoir pacifique. Troisièmement, utiliser les deux premiers éléments pour engager des contestations judiciaires, à un niveau local, mettant en cause les résultats locaux, et mettant juridiquement l'élection en péril. Quatrièmement, embobiner les électeurs sur la base des trois premiers éléments pour qu’ils votent républicain. Cinquièmement, attendre que la Cour suprême décide de l'élection en faveur de Trump  - comme elle le fera inévitablement désormais.

«…Quand les experts disent que 'Trump essaye juste de vous faire peur!' ils ne pourraient se tromper davantage. Ils répètent exactement la même erreur depuis des années. Ils n’ont pas écouté Trump lorsque celui-ci a parlé de camps, de bannissement, de raids, de purges, quand il a littéralement soutenu les néo-nazis marchant à Charlottesville. C'est comme ça que la situation a empiré. Trump a toujours dit aux Américains qui il était, mais les Américains ont été trop stupides pour le croire. Et maintenant, il est presque trop tard. C'est la dernière chance. Donc, écoutez attentivement. Trump vous dit exactement qui il est et ce qu'il veut. Si vous ne le croyez pas maintenant,  l'échec final de la démocratie reposera également sur vos épaules.

Un discours oublié d'Obama: «L'Amérique [Les Américains] d'abord».

Le moment est peut-être bien choisi pour passer en revue les conseils du néo-weimarien Obama au peuple américain le lendemain de l'élection, en tant que 45e président du pays de l'être répugnant et bête qu'il considérait en privé (et avec réalisme) comme un ‘fasciste’:

«Aujourd’hui, tout le monde est malheureux, quand son camp perd une élection. Mais dès le lendemain nous devons nous rappeler que nous sommes en fait tous membres d’une même équipe. Nous ne sommes pas d'abord des Démocrates. Nous ne sommes pas des Républicains en premier. Nous sommes d'abord Américains. Nous sommes d'abord des patriotes. Nous voulons tous ce qu'il y a de mieux pour ce pays. C'est ce que j'ai entendu dans les paroles de M. Trump hier soir. C'est ce que j'ai entendu lorsque je lui ai parlé directement. Et cela m’a réconforté. C'est ce dont le pays a besoin - un sentiment d'unité; un sentiment d'appartenance ; un respect de nos institutions, de notre mode de vie, de la primauté du droit ; et un respect mutuel. J'espère qu'il gardera cet esprit tout au long de cette transition, et j'espère vraiment que c'est ainsi que sa présidence aura la chance de commencer…

… Le fait est cependant que nous avançons tous, avec une présomption de bonne foi en nos concitoyens - parce que cette présomption de bonne foi est essentielle à une démocratie dynamique et fonctionnelle… Et c'est pourquoi je suis convaincu que cet incroyable voyage que nous entreprenons en tant qu'Américains continuera. Et je suis impatient de faire tout ce que je peux pour m'assurer que le prochain président y parviendra. Je l'ai déjà dit, je pense que ce travail est une course de relais - vous prenez le relais, vous faites votre meilleure course, en espérant qu'au moment où vous transmettez le relais, vous avez pris un peu d’avance, vous avez fait un peu de progrès. Et je peux dire que c’est ce que nous avons fait, et je veux m'assurer que la transmission se passe bien, car au bout du compte NOUS SOMMES TOUS DANS LA MEME EQUIPE.»

N'est-ce pas un discours de merde? Bravo, Obama, c'était super.

Le premier «débat» présidentiel: un spectacle fasciste et monstrueux

Le ‘débat’ ‘présidentiel’ de l’autre jour en est un bon exemple. Soyons clairs sur ce qui s’est passé avec la monstruosité orange et vicieuse pendant ce spectacle ‘horrifiant’ (selon Jake Tapper de CNN), ‘ce spectacle de merde’ (selon Dana Bash de CNN). Oui, c'était un foutoir, un gâchis pénible à l'échelle nationale, corrompu par le besoin pathologique de recourir à l’intimidation, de faire pression, d’interrompre de Trump. Oui, Biden a été troublé et le monde entier a été choqué par cet étalage de brutalité.

Mais c'est pire que ça. Ce fut une démonstration de fascisme, lié au monde des affaires, plein d'une sombre signification historique. Le Démon orange a fait bien plus que siffler ses partisans d’extrême-droite, lorsqu’il a demandé aux néofascistes, membres des Proud Boys de «prendre du recul, de se tenir prêts». C'était, de la part de l'homme qui détient les codes nucléaires, une façon de dire bravo aux manifestants néofascistes.

Le Belzébuth de Bedminster a refusé de dénoncer le suprémacisme blanc. Il a dit à ses supporters armés de se rendre sur les bureaux de vote. Il a refusé de s'engager pour une transition pacifique. Il a refusé de dire à ses partisans de ne pas user de violence. Il a menti et déformé la vérité au moins 50 fois. Il a poursuivi ses attaques insensées contre le vote par correspondance, nécessaire à cause de la pandémie qu'il a lui-même attisée. Il attend avec impatience que sa prochaine Cour suprême d'extrême droite décide de l'élection en sa faveur. Il a annoncé de façon inquiétante à propos de l'élection: «Cela ne va pas bien se terminer.»  Une prémonition de la violence d'extrême droite à laquelle il pousse ses partisans si le décompte ne va pas dans son sens.

[…]

Bernie, Bernie

Même le soi-disant socialiste Sanders semble incapable de rompre avec la fausse dichotomie entre voter et protester, et de reconnaître la nécessité d'une action directe de masse et de la désobéissance civile. Il a échoué de manière prévisible mais méprisable à appeler les gens dans la rue lors d'une récente allocution à la nation sur la façon d'empêcher Trump d’emporter les élections :

«En ce moment sans précédent, que pouvons-nous faire en tant que peuple pour préserver la démocratie américaine?

Premièrement, il est absolument impératif que nous ayons, de loin, le plus grand taux de participation électorale de l'histoire américaine et que les gens votent le plus tôt possible ... Une victoire écrasante de Biden rendra pratiquement impossible pour Trump de nier les résultats, et c'est notre meilleur moyen pour défendre la démocratie.

Deuxièmement, avec la pandémie et une augmentation massive du vote par correspondance, les législatures des États doivent prendre des mesures immédiates maintenant - maintenant - pour permettre le comptage des votes par correspondance avant le jour du scrutin, au fur et à mesure de leur arrivée. En fait, 32 États autorisent le dépouillement ou le traitement des bulletins de vote par correspondance - vérification des signatures, par exemple - avant le jour du scrutin. Tous les États devraient faire de même. Plus tous les bulletins sont comptés rapidement, moins il y a d’ouverture pour les théories du chaos et du complot.

Troisièmement, les médias doivent préparer le peuple américain à comprendre que l’élection ne dure pas un seul jour et qu'il est fort possible que nous ne connaissions pas les résultats le 3 novembre.

Quatrièmement, les entreprises de médias sociaux doivent enfin se ressaisir et empêcher les gens d'utiliser leurs outils pour répandre la désinformation, pour menacer et harceler les responsables électoraux.

Cinquièmement, au Congrès et dans les Assemblées des États, des auditions doivent avoir lieu le plus tôt possible pour expliquer au public comment le processus du jour du scrutin et des jours qui suivent seront gérés. Tandis que nous compterons chaque vote et empêcherons l'intimidation des électeurs, tout doit être fait pour empêcher le chaos, la désinformation et, oui, même la violence.

Enfin, et surtout, le peuple américain, quelle que soit son opinion politique, doit faire comprendre que la démocratie américaine ne sera pas détruite.»

De bonnes recommandations, c’est sûr, mais de quelle grande ‘démocratie américaine’ parle Sanders?

[…]

«Préserver la démocratie américaine»? Parce qu'avant Trump, il y avait une ‘démocratie américaine’ qui fonctionnait? Vraiment? Bernie a-t-il manqué (parmi beaucoup de choses montrant que les États-Unis sont sous le commandement de ‘l'État profond’ des dictatures non élues et interdépendantes de l'argent et de l'empire, quel que soit le parti ou la configuration du parti qui détient le pouvoir nominal), se souvient-il de ce qui lui est arrivé en 2015-16 et 2019-20, lorsqu’il se présentait, en accord avec l'opinion progressiste de la majorité, mais éjecté du processus de nomination afin que de déprimants représentants du monde des affaires puissent accéder à l'investiture du Parti démocrate ? On ne peut pas dire aux gens que les États-Unis ressemblent à une ‘démocratie’ alors que 7 Américains sur 10 soutiennent Medicare for All mais que le pouvoir des entreprises exige qu'aucun candidat à la présidence viable ne puisse défendre Medicare for All.

Dans une récente interview (sur l'émission HBO de Bill Maher) sur ce qu'il faudrait faire si Trump refuse de quitter ses fonctions, Bernie n'a pas dit un mot sur l'action directe des citoyens, la désobéissance civile, les grèves politiques, les marches, les occupations, la lutte collective réelle. Lorsqu'il a été pressé par Maher de dire si des mouvements de masse «comme dans d'autres pays» pourraient survenir, Sanders a déclaré à contrecœur que «l'indignation pourrait s’élever jusque là».

[…]

Note:

[1] John Lewis est entré dans les pages de l'histoire américaine et mondiale au début des années 1960 en mettant son corps en danger en occupant des comptoirs et des bus séparés du sud. Il n’a pas attendu les élections de la classe dirigeante décalées dans le temps pour changer l’histoire.

Le prochain livre de Paul Street est La résistance passive : Obama, Trump et la politique d'apaisement. Il sera publié plus tard cet été par CounterPunch Books.

Lien de l’article en anglais:

https://www.counterpunch.org/2020/10/04/beyond-obama-and-bernie/

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