Élections présidentielles sud-coréennes de 2022: pas de mandat populaire pour une politique belliqueuse

Publié le

Par Simone Chun pour Counterpunch le 27 avril 2022

Simone Chun siège au comité directeur de l'Alliance of Scholars Concerned about Korea et est membre du Korea Policy Institute et du Korea Peace Network.

Simone Chun siège au comité directeur de l'Alliance of Scholars Concerned about Korea et est membre du Korea Policy Institute et du Korea Peace Network.

«Déclarer la fin de la guerre serait une étape importante pour réduire la terrible menace de conflit et ouvrir la voie à de nouveaux compromis… Je pense que la meilleure politique serait de s’en tenir à l'esprit général de la Sunshine policy: aller par étapes vers un accord et la réduction des tensions, mettre fin aux menaces et aux provocations.» - Noam Chomsky

La très mince marge de victoire obtenue par le conservateur Yoon Suk-yeol, 0,7%, lors de l'élection présidentielle du 9 mars en Corée du Sud était loin de lui donner mandat pour appliquer sa politique étrangère belliciste tant vantée. Le discours agressif de Yoon prônant une position plus dure envers la Corée du Nord – comportant des références répétées à des frappes préventives contre Pyongyang – est en décalage avec l'électorat sud-coréen, dont la majorité veut la paix avec le Nord. Sa position en matière de politique étrangère est de forcer la Corée du Sud à se placer en première ligne d'une nouvelle guerre froide menée par les États-Unis. En agissant pour s'assurer qu'un état de tension est maintenu dans la péninsule coréenne, Yoon sert fidèlement les intérêts stratégiques américains et met la nation coréenne en danger tout en permettant à Washington de continuer à justifier son occupation de la Corée du Sud, depuis près de huit décennies, afin d’assurer sa position militaire face à la Chine. 

Cinq ans après la fin ignominieuse de l'administration conservatrice de Park, les conservateurs sud-coréens sont de retour au pouvoir, une évolution qui n'augure rien de bon pour la Corée ou le reste du monde. Le passé controversé de Yoon, son manque d'expérience pratique et ses opinions bellicistes se combinent pour défendre une politique radicale dangereuse dans le jeu de la corde raide qui continue de se jouer dans la péninsule coréenne. Yoon n'a pas tardé à qualifier Pyongyang d'"ennemi principal" de Séoul, marquant une rupture avec son prédécesseur Moon Jae-in. Renchérissant sur la rhétorique de Yoon, sa délégation de politique étrangère à Washington a plaidé pour une politique de dénucléarisation du Nord complète, vérifiable et irréversible (CVID). La délégation a également souligné le soutien de la Corée du Sud envers la stratégie américaine de confinement de la Chine et a plaidé pour le redéploiement des moyens stratégiques américains tels que les porte-avions, les bombardiers et les sous-marins à capacité nucléaire dans la péninsule coréenne.

Sans surprise, le tournant belliciste de Yoon a été bien accueilli par l'administration Biden et les responsables de la politique étrangère à Washington, qui pensent que sa victoire donnera aux États-Unis un avantage en impliquant la Corée du Sud dans la volonté américaine de contenir la Chine. Les médias conservateurs américains ont salué la "victoire pro-américaine de Yoon" et ont prédit que "le nouveau président belliciste de la Corée du Sud sera bon pour l'alliance occidentale", tout en soulignant que la victoire de Yoon signalait que "le moment était venu de renforcer la pression sur Pyongyang". 

Faisant écho à ce chœur, Philip Goldberg, futur ambassadeur des États-Unis en Corée du Sud et ancien promoteur des sanctions de l'ONU contre le Nord, a déclaré que les États-Unis devraient "poursuivre résolument la dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible" du "régime voyou de Corée du Nord"… Cependant, la stratégie de Washington consistant à exiger des concessions sans offrir d'assurances significatives n'a fait qu'accroître la détermination de Pyongyang à acquérir une capacité de dissuasion nucléaire comme garantie de sécurité contre les États-Unis. Selon Daniel DePetris les chances que Kim renonce à sa dissuasion nucléaire à ce stade avancé du jeu sont de minces à nulles. Aucun pays qui aurait consenti des dépenses aussi importantes, sur une période de plusieurs décennies, pour développer jusqu'à 65 ogives nucléaires, ne renoncera soudainement à ces armes en échange de quelques concessions économiques et politiques et de vagues garanties de sécurité.

La semaine dernière, la Chine, soulignant que les sanctions américaines supplémentaires imposées à Pyongyang ne faisaient qu'augmenter les tensions, a proposé que soit mis un terme aux exercices militaires annuels historiquement provocateurs entre les États-Unis et la Corée du Sud en échange de la suspension par le Nord des ICBM et des essais nucléaires. Les États-Unis ont rejeté la proposition de la Chine. 

Le 31 mars, la Corée du Sud et les États-Unis ont renforcé leurs plans d'opérations conjointes en temps de guerre et y ont inclus une réponse aux dispositions nucléaires nord-coréennes, et de hauts responsables militaires américains, japonais et sud-coréens ont discuté d'une coopération trilatérale, ouvertement pour "dissuader les menaces du Nord" – un euphémisme pour désigner la priorité de l'administration Biden, qui est d'encercler la Chine. Une majorité de Coréens s'oppose à une alliance militaire aussi provocatrice qui menacerait la paix et la stabilité régionales. 

Le 14 avril, sous prétexte de dissuader "l'agression" du Nord, les États-Unis ont dépêché le porte-avion Abraham Lincoln et son groupe de combat pour des exercices bilatéraux avec la force maritime d'autodéfense japonaise près de la péninsule coréenne. C’est la première fois depuis 2017 qu'un groupe aéronaval a été déployé dans les eaux séparant la Corée du Sud et le Japon.

Le 18 avril, les États-Unis et la Corée du Sud ont commencé leurs exercices militaires conjoints annuels controversés, malgré l'opposition de la majorité des Coréens et de plus de 350 organisations américaines, sud-coréennes et internationales qui ont publié une déclaration appelant à leur suspension. Les exercices, qui mobilisent un nombre considérable de troupes américaines et de munitions sur la péninsule coréenne et simulent un engagement militaire contre le Nord, ont historiquement servi de moyen efficace pour accroître les tensions régionales:     

Ces dernières années, ces exercices militaires ont été basés sur des plans d'opération incluant des frappes préventives et des "mesures de décapitation" contre les dirigeants nord-coréens. Ils ont également impliqué l'utilisation de bombardiers B-2 et B-52H (conçus pour larguer des bombes nucléaires) et des porte-avions et sous-marins à propulsion nucléaire. Bien que les États-Unis et la Corée du Sud les aient qualifiés de défensifs, ces exercices militaires ont longtemps été un déclencheur de tensions militaires et politiques accrues dans la péninsule coréenne, en raison de leur ampleur et de leur nature provocatrice. 

Jusqu'à présent, les politiques bellicistes de Yoon n'ont pas réussi à recueillir le soutien du public. Selon une série de sondages récents menés en 2021, plus de 70% des Sud-Coréens ne considèrent pas le Nord comme un ennemi; 70% soutiennent une déclaration de fin de guerre; 61% soutiennent l'assouplissement des sanctions contre le Nord; et 79% soutiennent la paix avec Pyongyang. Ce sentiment persiste même parmi les partisans de Yoon, dont la majorité soutient un traité de paix, rompant avec ses discours appelant à une position plus dure envers la Corée du Nord. 

Alors que la victoire de Yoon est de bon augure pour la campagne incessante de Washington visant à placer Séoul en première ligne de sa croisade anti-chinoise, sa position politique déclarée de "non" à la Corée du Nord et à la Chine et de "oui aux États-Unis" sera plus facile à dire qu'à faire, notamment en raison de la grande interdépendance économique entre la Corée du Sud et la Chine. En 2021, la Chine a absorbé plus d'un quart de toutes les exportations coréennes, tandis que les États-Unis ne représentaient que 15%. Selon une enquête datant de 2021, les Coréens montrent peu d’enthousiasme pour la stratégie américaine de confinement de la Chine, la majorité d’entre eux soutenant une position neutre dans la rivalité américano-chinoise.

Le refus de Yoon de se rapprocher du Nord ou d'exercer un quelconque degré de souveraineté face aux États-Unis fait que la Corée du Sud reste une "force d’appoint" subalterne existant principalement pour servir les intérêts stratégiques croissants de Washington en Asie du Nord-Est. Les États-Unis eux-mêmes, après avoir mené une guerre brutale dans la péninsule coréenne qui a fait des millions de morts, continuent de bloquer toutes les tentatives de réconciliation des deux Corées, refusant de soutenir une diplomatie constructive, de signer un traité de paix ou même de déclarer la fin symbolique de près de huit décennies de guerre de Corée.

Au lieu de cela, la politique de Washington et les limites qu'elle impose à la souveraineté sud-coréenne et aux relations inter-coréennes garantissent la poursuite d'un état de tension permanent dans la péninsule coréenne, fournissant aux États-Unis une justification perpétuelle à leur occupation militaire sans précédent de soixante-dix-sept ans et à l’assujettissement politique du Sud. La "menace nord-coréenne" sert de couverture à la politique anti-chinoise de Washington et à sa projection militaire croissante en Asie. Dans ce contexte, la victoire de Yoon est une composante d'une orientation belliciste transnationale qui menace la paix et la stabilité dans la péninsule coréenne et dans toute l'Asie du Nord-Est.

Lien de l’article en anglais

https://www.counterpunch.org/2022/04/27/2022-south-korean-presidential-elections-no-public-mandate-for-a-hawkish-pivot/

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