L’entreprise suisse Nestlé, une des multinationales les plus à vomir du monde actuel

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Nestlé et la privatisation de l'eau

Le pouvoir de Nestlé au sein du gouvernement suisse. L’aide suisse au développement

Par Franklin Frederick pour Global Research le 27 août 2019

Les 10 grandes compagnies qui se partagent la grande distribution alimentaire

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En février dernier, le Gouvernement suisse a annoncé la création d’une fondation à Genève, dénommée «Geneva Science and Diplomacy Anticipator» (GSDA). Le but de cette nouvelle fondation est de réglementer les nouvelles technologies, des drones aux voitures automatiques, en passant par le génie génétique. Ce sont des exemples cités par le ministre suisse des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, lors du lancement public de cette initiative. Selon Cassis, les nouvelles technologies se développent très rapidement et cette Fondation doit «anticiper» les conséquences de ces avancées pour la société et la politique. La Fondation servira également de pont entre les communautés scientifique et diplomatique, d’où son positionnement stratégique à Genève, qui abrite plusieurs organisations internationales, des Nations Unies à l’Organisation mondiale du commerce.

Le ministère suisse des Affaires étrangères de la Suisse apportera 3 millions de francs suisses - un peu plus de 3 millions de dollars - à la phase initiale de la Fondation de 2019 à 2022. La ville et le canton de Genève verseront chacun 300,000 francs suisses pour la même période et des contributions du secteur privé sont également attendues.

En tant que président de cette nouvelle fondation, l’ancien PDG de Nestlé, Peter Brabeck-Letmathe, a été choisi. Le vice-président est Patrick Aebischer, ancien président de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. L'EPFL est l'acronyme français. Patrick Aebischer est également membre du comité directeur des sciences de la santé Nestlé depuis 2015, créé en 2011 par Nestlé et situé sur le campus de l'EPFL.

Peter Brabeck-Letmathe

Peter Brabeck-Letmathe

Le choix de Peter Brabeck et de Patrick Aebischer - tous deux étroitement liés à Nestlé - pour gérer cette nouvelle fondation repose sur une logique très claire. Il s’agit principalement de la reconnaissance du pouvoir de Nestlé au sein du gouvernement suisse - un ancien PDG de Nestlé est, par définition, compétent pour diriger cette initiative. Plus troublant encore, le choix de Peter Brabeck est un autre exemple du "partenariat" toujours plus étroit entre les gouvernements et les grandes entreprises multinationales, qui a conduit à la mise en place d’une oligarchie des entreprises internationales qui prend progressivement le pouvoir au sein des démocraties occidentales.

Bien documentée, Nestlé en tant qu’entreprise privée a lutté contre diverses formes de réglementation par l’État, le cas le plus connu étant la réglementation des normes de commercialisation des aliments pour enfants, en particulier celles du lait en poudre. Le conflit entre Nestlé sous la direction de Peter Brabeck et le réseau international IBFAN - International Baby Food Action Network - est bien connu.

Mais la plus grande ironie - et le plus grand danger - est que le choix de Brabeck de présider cette Fondation indique que le but réel de cette initiative est précisément d'empêcher toute forme de réglementation gouvernementale susceptible de limiter les bénéfices tirés des avancées technologiques du secteur privé.

On ne s'attend pas non plus à ce que cette fondation défende toute protection de la sphère publique ou de l'environnement contre les menaces éventuelles que les nouveaux progrès technologiques font peser sur la société. Au contraire, le choix de Brabeck indique que l’objectif principal de cette fondation est de défendre et de soutenir le secteur privé. Ce que l'on peut attendre de cette fondation, ce sont des propositions d'autorégulation du secteur privé dans les cas de conflits trop explicites, ce qui n'a rien d'efficace. Comme cette fondation est une initiative du gouvernement suisse - certainement après des discussions avec le secteur privé - et est basée à Genève, elle aura une influence énorme et les mouvements sociaux organisés devraient suivre de près les étapes futures de cette fondation car elle représente une menace énorme pour la démocratie.

Quelques mois seulement après le lancement de cette nouvelle fondation, le gouvernement suisse a annoncé que Christian Frutiger, actuel responsable des affaires publiques chez Nestlé, assumera bientôt la vice-présidence de la Direction du développement et de la coopération - SDC (Swiss Agency for Development and Cooperation) - Agence du gouvernement suisse responsable des projets d’aide au développement dans d’autres pays. Un autre exemple de la collaboration croissante entre le secteur privé et le gouvernement, mais cette fois dans un domaine beaucoup plus sensible: la coopération au développement.

Christian Frutiger

Christian Frutiger

Ceci constitue un autre exemple de l'influence croissante et de la présence de Nestlé au sein du gouvernement suisse. Cette présence n’est ni nouvelle ni récente, et il est important de rappeler que la SDC a soutenu la création du Groupe des ressources en eau - WRG (Water Resources Group) – à l’initiative de Nestlé, Coca-Cola et Pepsi afin de privatiser l’eau, car le directeur de la SDC est lui-même membre du conseil de gouvernance de WRG.

La contradiction du fait que la Suisse possède l'un des meilleurs services publics d'assainissement et de distribution d'eau au monde, mais utilise l'argent des contribuables suisses pour soutenir la privatisation de l'eau dans d'autres pays via le partenariat de la SDC avec Nestlé, ne semble pas poser de problème.

Le budget de la coopération internationale de la Suisse pour la période 2017-2020 est d’environ 6,635 milliards de francs, soit un peu plus de 6,730 milliards de dollars. En tant que directeur adjoint, Christian Frutiger aura une grande influence sur les décisions relatives à l'application d'une partie de ce budget. Plus important encore, en tant que directeur adjoint, Frutiger sera directement responsable de la division «Coopération globale» de la SDC et du programme WATER. Christian Frutiger a commencé sa carrière chez Nestlé en 2007 en tant que responsable des affaires publiques après avoir travaillé pour la Croix-Rouge internationale.

En 2006, la marque d’eau embouteillée «Pure Life» de Nestlé est devenue la marque la plus rentable en 2007 grâce à l’achat du groupe Sources Minérales Henniez S.A.

Nestlé est devenue la principale entreprise d'eau embouteillée sur le marché suisse. En 2008, dix ans seulement après sa sortie, «Pure Life» est devenue la marque d’eau en bouteille la plus vendue au monde. Dans ce contexte, il était tout à fait naturel que les travaux de Christian Frutiger chez Nestlé soient centrés sur le thème de l’EAU.

En 2008, un scandale d'espionnage impliquant Nestlé a éclaté en Suisse. Un journaliste de télévision suisse a dénoncé dans une émission le fait que Nestlé avait engagé la société de sécurité SECURITAS pour infiltrer des espions au sein de groupes critiques de Nestlé en Suisse, notamment le groupe ATTAC. Un espionnage avéré a eu lieu entre 2002 et 2003, mais il existe des preuves d'espionnage jusqu'en 2006. ATTAC a intenté une action en justice contre Nestlé et SECURITAS. En 2013, le tribunal suisse a finalement condamné Nestlé pour avoir organisé cette opération d'espionnage, indiquant la participation d'au moins quatre sociétés. impliquées dans l'opération.

Le fait que Nestlé ait organisé une opération d'espionnage illégale en Suisse et ait été condamné par la justice suisse pour cela n'a eu aucune incidence sur les relations de la société avec le gouvernement suisse et en particulier avec la Direction du développement et de la coopération, comme on pouvait s'y attendre. Personne n’a osé demander à Peter Brabeck, PDG de Nestlé, si sa société était capable de telles actions en Suisse même. Que peut-on donc attendre du comportement de cette même société dans d’autres pays aux garanties démocratiques plus faibles?

Infiltrer des agents sous de fausses identités pour espionner le mouvement ATTAC est pour le moins grossièrement contraire à l'éthique. Mais il semble que l’éthique n’ait pas été l’un des critères pris en compte par la SDC lors de l’embauche de Christian Frutiger qui, tout au long de cet épisode, a gardé le silence, ne s’est jamais excusé auprès des personnes espionnées par la société pour laquelle il travaillait et a tout fait pour  minimiser l'impact du problème, ce qui signifie qu'il s'est conformé au manque d'éthique de son employeur. Mais la nomination de Frutiger au poste de directeur adjoint de la SDC laisse entrevoir des problèmes beaucoup plus profonds et de grande portée, notamment en ce qui concerne WATER, car il me semble évident que son choix pour ce poste est entièrement lié à ce sujet.

La nomination de Peter Brabeck à la présidence de la nouvelle fondation du gouvernement suisse à Genève et la nomination de Christian Frutiger à la vice-présidence de la Direction de la coopération suisse au développement révèlent un lien entre le secteur privé et le gouvernement suisse pour approfondir les politiques de privatisation - en particulier dans le secteur de l'eau – et de contrôle des entreprises sur les politiques publiques. Mais cette coopération va au-delà du gouvernement de la Suisse, elle se fera surtout au niveau des agences et organisations internationales présentes à Genève puisque Christian Frutiger sera responsable des contacts avec nombre de ces organisations. Ces nouveaux rôles indiquent également que le secteur des entreprises multinationales s’organise très consciemment à divers niveaux de gouvernement pour faire en sorte que leurs demandes et leurs propositions politiques soient satisfaites.

Face à tout cela, il ne faut pas s'attendre à beaucoup de réactions de la part des grandes ONG suisses, d'autant plus que la SDC en est le principal bailleur de fonds, ce qui explique le profond silence qui entoure Nestlé et ses actions en Suisse. Un exemple récent de ce silence s'est produit au Brésil lors du Forum mondial de l'eau tenu à Brasilia en mars 2018. Ce forum étant en fait le forum des grandes entreprises privées,

Nestlé et WRG étaient présents dans le pavillon officiel suisse, aux côtés d’organisations telles que HELVETAS, HEKS/EPER et Caritas Suisse, trois des plus importantes agences de développement privées de Suisse et toutes soutenues par la SDC. HEKS/EPER - qui sont des abréviations allemande et française - est liée à l’Église protestante de Suisse, tout comme Caritas Suisse est liée à l’Église catholique.

Au cours du forum, 600 femmes du mouvement Landless ont occupé pendant quelques heures les locaux de Nestlé à São Lourenço, dans le Minas Gerais, afin d’attirer l’attention sur les problèmes causés par la société et le secteur de la mise en bouteilles d’eau. Aucune de ces organisations suisses n’a exprimé de solidarité avec le Mouvement des paysans sans terre, aucune n’a condamné les pratiques de Nestlé et n’a même pas mentionné à leur retour en Suisse que cette occupation avait eu lieu. Mais HEKS/EPER et Caritas Suisse prétendent se battre pour le droit humain à l'eau et "soutenir" les mouvements sociaux - mais visiblement pas lorsqu'ils se dressent contre Nestlé. À São Lourenço, dans la région du Circuito das Águas de MG, et dans de nombreux autres endroits au Brésil, l’exploitation de l’eau par Nestlé et les mouvements de citoyens qui tentent de protéger ses eaux posent des problèmes. HEKS/EPER a un bureau au Brésil mais n’a jamais contacté les groupes qui combattent Nestlé au Brésil.

La SDC ne considère pas les problèmes avec Nestlé dans de nombreuses régions du monde - pas seulement au Brésil - comme une raison de réévaluer son partenariat avec la société. Il existe par exemple des problèmes très bien documentés concernant les opérations d’embouteillage et de pompage d’eau de Nestlé aux États-Unis, au Canada et en France, par exemple - des pays considérés comme des démocraties établies. Ce qui est commun à tous ces pays, c'est que les gouvernements se sont toujours prononcés en faveur de l'entreprise et contre leurs propres citoyens. Dans la ville de Vittel, en France, la situation est absurde: des études effectuées par des agences du gouvernement français indiquent que l'aquifère auquel la population de Vittel puise son eau et où Nestlé collecte également des bouteilles d'eau sous le nom de «VITTEL» risque de s'épuiser. L’aquifère n’est pas en mesure de répondre aux demandes à long terme de la population locale et de la société d’embouteillage de Nestlé. La solution proposée par les autorités françaises: construire un pipeline d'environ 50 km de long pour chercher de l'eau dans une région voisine de Vittel afin de répondre aux besoins de la population - laisser Nestlé libre d'exploiter les eaux de l'aquifère de Vittel!

Dans le comté de Wellington, au Canada, un groupe local appelé Wellington Water Watchers a été créé pour protéger ses eaux de l'exploration Nestlé, qui bénéficie du soutien du gouvernement local pour renouveler son autorisation de continuer à embouteiller de l'eau. Au Michigan, États-Unis, le problème est similaire. Cela ne semble pas déranger le gouvernement suisse, la SDC ou Christian Frutiger - et si de tels problèmes se produisent dans ces pays, que ne pourrait-il pas arriver dans des pays beaucoup plus fragiles dans leur organisation sociale et politique? En tant que responsable des affaires publiques chez Nestlé, Christian Frutiger a fait de son mieux pour ignorer complètement les problèmes créés par son employeur dans de nombreux pays.

Au moment où j'écris, l'Europe souffre d'une vague de chaleur intense. Il y a un rationnement de l'eau en France et des risques d'incendie dans de nombreux endroits. Les grandes villes comme Paris souffrent de températures record jamais enregistrées auparavant et la consommation d'eau ne fait qu'augmenter. D'autre part, les glaciers fondent à une vitesse croissante et l'eau devient de plus en plus rare. Les ressources en eaux souterraines, dont beaucoup d’eaux fossiles, constituent une réserve importante pour l’avenir et devraient rester intactes. Mais la cupidité des sociétés de mise en bouteilles comme Nestlé acquiert de plus en plus de sources d’eau. La situation est la même partout sur la planète - les eaux non polluées restantes sont de plus en plus entre les mains de quelques entreprises.

Au Brésil, sous le gouvernement Bolsonaro, la situation est encore pire avec un ministre de l’Environnement chargé de faciliter l’appropriation des ressources naturelles brésiliennes par des capitaux étrangers. Il est important de rappeler que l'actionnaire principal du groupe AMBEV est le citoyen suisse-brésilien Jorge Paulo Lemann, qui dispose d'excellents canaux de communication avec le gouvernement suisse. AMBEV fait également partie du WRG, qui a déjà ouvert son premier bureau au Brésil afin de soutenir la privatisation de SABESP, la société publique de l’eau dans l’état de São Paulo.

Ce qui se passe en Suisse n’est que la partie visible de l’iceberg. Cette partie visible est la coopération internationale des grandes entreprises et la prise en charge de l’espace public pour les décisions politiques de l’oligarchie mondiale des entreprises. Nous devons être vigilants et bien organisés pour défendre nos eaux, notre terre et notre société contre les attaques des entreprises vis-à-vis du bien commun.

Lien de l’article en anglais:

https://www.globalresearch.ca/swiss-development-aid-nestle-water-privatization/5687211

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