Inde: une fuite de gaz toxique à Visakhapatnam tue onze personnes et en met des milliers d’autres en danger
Par Pradeep Ramanayake pour World Socialist Web Site le 9 mai 2020
Onze personnes sont mortes et environ 800 ont été hospitalisées à la suite d’une fuite de gaz toxique tôt jeudi matin dans une usine de LG Polymers India à Visakhapatnam, une ville portuaire de l'État du sud de l'Andhra Pradesh. La société appartient à LG Chem, basée en Corée du Sud.
La majorité des victimes, dont deux enfants, venaient de la région de Gopalapatnam, proche de l'usine chimique. Huit personnes sont mortes après avoir inhalé de grandes quantités du gaz toxique styrène tandis que trois autres ont été tuées dans des accidents alors qu'elles tentaient de s'échapper de la zone. Environ 15,000 personnes ont maintenant été évacuées des villages touchés.
La fuite a commencé vers 2 heures 30 du matin, alors que les employés étaient sur le point de reprendre le travail à l'usine, après l’assouplissement du confinement dû au Covid-19 par le gouvernement Modi. Lorsque la police est arrivée dans la zone, elle a découvert des résidents qui vivent près de l'usine inconscients sur leurs lits. Des images choquantes de la télévision ont montré des personnes inconscientes dans les arrière-cours et d'autres effondrées dans des rues étroites alors qu'elles tentaient de s'échapper. Les résidents ont signalé une irritation des yeux, un essoufflement, des nausées et des éruptions cutanées.
Certains de ceux qui ont tenté de s'éloigner sont devenus inconscients dans leur véhicule et ont eu des accidents. Un motocycliste s'est effondré et est tombé dans un fossé, se tuant tragiquement ainsi que son passager. Deux personnes, étourdies par le gaz, sont tombées dans un puits et sont décédées, une femme est tombée du deuxième étage de son immeuble. Des vidéos ont montré des parents courant dans les rues avec leurs enfants à bout de souffle et des gens s'effondrant sur les routes.
Ces images terrifiantes rappellent la tragédie de Bhopal en 1984 dans l'État du Madhya Pradesh, lorsque des milliers de personnes ont été tuées par une fuite de gaz dans une usine d'Union Carbide, le pire accident industriel de l'histoire. Plus de 40 tonnes du gaz mortel isocyanate de méthyle et d'autres poisons inconnus utilisés dans la fabrication de pesticides se sont échappés de l’usine de la multinationale américaine, transformant cette dernière et ses environs en une chambre à gaz virtuelle.
La catastrophe de gaz toxique de jeudi à Visakhapatnam a de nouveau mis en lumière la négligence criminelle de l'élite dirigeante indienne. Le gaz toxique s'est propagé dans un cercle de trois kilomètres depuis la source d'origine et la fuite n'a été stoppée que quatre heures après qu’elle ait commencé.
Une déclaration officielle de l'usine de LG Polymers en Inde a indiqué que la direction était parfaitement consciente qu'il pourrait y avoir une catastrophe. «La stagnation et les changements de température, a-t-elle dit, pouvaient entraîner une polymérisation automatique qui pouvait provoquer une vaporisation.»
La fuite de gaz de Vishakhapatnam, en fait, n'est que l'un des milliers d'exemples de grandes sociétés capitalistes déterminées à maintenir leurs dangereux systèmes de production, quelles que soient les conséquences sur la vie de leurs travailleurs et l'impact sur les communautés voisines. Il a également révélé le fait que très fréquemment les directeurs d'usine continuent d'utiliser des machines dangereuses et en mauvais état, afin de continuer la production et maximiser les profits.
Les enquêteurs ont déclaré aux médias que la pression du gaz avait pu s'accumuler pendant le confinement national du Covid-19; la température du styrène n'a pas été maintenue à moins de 20 degrés à cause de réfrigérateurs défaillants, et une soupape abîmée ou un tuyau éclaté aurait pu causer la fuite.
La catastrophe de jeudi s'est produite alors que le gouvernement Modi demandait aux gouvernements des États et aux autorités de district de commencer à lever le confinement, engageant des millions de personnes à retourner prématurément au travail, alors même que les cas de Covid-19 et les décès continuent d'augmenter.
Dans une déclaration succincte et tout à fait conventionnelle, Modi a tweeté: «J’ai parlé aux responsables du MHA [Ministère de l'intérieur] et de la NDMA [Autorité nationale de gestion des catastrophes] concernant la situation à Visakhapatnam, qui est surveillée de près. Je prie pour la sécurité et le bien-être de chacun à Visakhapatnam.»
La véritable préoccupation de Modi n’est pas la vie des victimes, mais le fait que cette fuite de gaz catastrophique affaiblira la demande du gouvernement pour que les travailleurs retournent à leur travail.
Malgré une rhétorique bidon sur la «sécurité et le bien-être» des victimes de fuites de gaz, l'Inde est l'un des endroits les plus dangereux au monde pour les travailleurs.
Selon les données du ministère du Travail et de l'Emploi, 3,562 travailleurs sont morts dans des accidents d'usine en Inde entre 2014 et 2016 et plus de 51,000 ont été blessés au cours de la même période, soit en moyenne trois décès et 47 blessés chaque jour. Une étude réalisée en 2017 par le British Safety Council a brossé un tableau encore plus sombre, signalant que 48,000 travailleurs meurent d'accidents du travail en Inde chaque année.
La catastrophe de Bhopal reste cependant l’accident industriel le pire en Inde, avec 8,000 décès immédiats et l’hospitalisation de quelque 170,000 habitants. On estime que le nombre total de décès dus à l'accident se situe entre 16,000 et 30,000. Des milliers de survivants continuent de souffrir de problèmes de santé.
Plus de 15 ans après l'événement, environ 150,000 personnes étaient toujours atteintes de maladies chroniques et souffraient de divers problèmes de santé, notamment des difficultés respiratoires, une toux persistante, des ulcérations de la cornée, des cataractes précoces, des fièvres récurrentes, des brûlures cutanées et des dépressions, suite à la tragédie. On estime que 10 à 15 victimes de la catastrophe de Bhopal meurent encore chaque mois.
La fuite de gaz de Visakhapatnam est un avertissement à tous les travailleurs qui retournent dans des usines qui ont été fermées, et dont les machines ont été mal entretenues pendant le confinement du COVID-19. Ces dangers ont été confirmés par une fuite de gaz similaire dans une papeterie de Chhattisgarh, quelques heures avant l'incident de Visakhapatnam. Sept travailleurs de l'usine de papier ont été hospitalisés après avoir été exposés à des gaz toxiques pendant qu'ils nettoyaient le réservoir de pâte à papier en vue de la reprise des opérations dans l’usine.
Les gouvernements indiens successifs ont travaillé pour transformer le pays en un paradis du travail bon marché pour les multinationales géantes et les investisseurs internationaux, qui ont dégradé les conditions de santé et de sécurité des travailleurs tout en récoltant des milliards de profits.
Le ministre en chef de l'Andhra Pradesh, Jagan Mohan Reddy, a répondu à la catastrophe de jeudi en accordant 10 millions de roupies (133,000 dollars) aux familles des personnes décédées et une maigre somme de 100,000 roupies (1 330 dollars) aux blessés. Cela n’atténuera en rien les pertes de vies humaines et les souffrances durables des personnes exposées aux gaz toxiques.
Le ministre des Industries d'Andhra Pradesh, Mekapati Goutham Reddy, a simplement décrit la fuite de gaz comme une «défaillance industrielle» de l'entreprise. «C'est à l'entreprise de prouver qu'il n'y a pas eu de négligence de sa part», a-t-il déclaré.
La déclaration de Reddy est vide de posture. Sachant la façon dont l’élite dirigeante de l’Inde a réagi à la catastrophe de Bhopal, on peut penser que rien n’arrivera à LG Polymers India.
En 2010, au milieu de la colère et du dégoût généralisé du public à propos de la catastrophe de Bhopal de 1984, un tribunal de district indien a ordonné que huit dirigeants d’Union Carbide soient condamnés à deux ans de prison. Ils ont été condamnés chacun à une amende de 100,000 roupies (2,100 $ US) et la société à 500,000 roupies à peine (10,600 $ US), le PDG américain de la société demeurant en fuite jusqu'à sa mort. La multinationale américaine géante s'est effectivement affranchie de tout châtiment pour ce meurtre de masse.
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