Toujours en attente de justice 10 ans après le massacre de Bangkok
Par Robert Amsterdam le 18 mai 2020
Couverture du livre blanc sur le massacre de Bangkok, «A Call for Accountability» (Un appel à la responsabilisation)
Fin avril et début mai 2010, je me suis retrouvé dans les rues de Bangkok derrière les barricades parmi le mouvement de protestation des Chemises rouges, qui avait attiré l'attention du monde avec leur rassemblement qui avait occupé une zone du centre de la capitale pendant 66 jours.
J'avais été envoyé là-bas par mon client, l'ancien Premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra, qui avait engagé notre cabinet d'avocats pour fournir une assistance juridique au Front uni pour la démocratie contre la dictature (UDD) et pour essayer d'aider à trouver une solution à l'impasse qui venait du fait que le pays était à l’époque dirigé par un gouvernement illégitime qui avait été mis en place par le biais de décisions judiciaires truquées qui avaient invalidé les votes de la majorité démocratique.
Au cours de ces semaines cruciales, les événements ont rapidement échappé à tout contrôle. Les souvenirs de la chaleur épuisante, de la fumée âcre des incendies et des coups de feu qui retentissent toutes les nuits me restent viscéraux. J'étais à quelques pâtés de maisons de la rue quand un tireur d'élite a assassiné un dirigeant chemise rouge, Seh Daeng, en lui tirant une balle dans la tête alors qu'il donnait une interview à un journaliste du New York Times. Ils ont aussi brutalement exécuté le reporter photographe de Reuters Fabio Polenghi. Ils tuaient des enfants désarmés, des infirmières et même des passants qui cherchaient à se réfugier dans des temples. Nous avons présenté au gouvernement une offre très claire et franchement désespérée pour éviter les effusions de sang, promettant la fin immédiate des manifestations en échange de nouvelles élections - une offre qui a été ignorée et réduite au silence. Le message était clair - leur objectif n’était pas de mettre fin au rassemblement, c’était d’écraser violemment le mouvement et de terroriser le peuple thaïlandais.
L’écrasement final s'est terminé le 19 mai, lorsque des tireurs d'élite en uniforme noir ont pris position sur les lignes du métro aérien (BTS) et que des blindés ont roulé sur les barricades. J'ai eu la chance de pouvoir partir me mettre en sécurité à Hong Kong. De nombreux autres ont eu beaucoup moins de chance. Plus de 98 personnes ont été assassinées par l'armée thaïlandaise en quelques jours et plus de 2,000 autres ont été blessées lors de cette opération militaire ordonnée par le Premier ministre de l'époque Abhisit Vejjajiva et l'actuel Premier ministre mis en place par le coup d'État [de 2014], Prayut Chan-ocha.
En ce triste dixième anniversaire des massacres de Bangkok, je voulais profiter de l'occasion pour publier à nouveau notre livre blanc complet documentant ces événements, «A Call for Accountability (Un appel à la responsabilisation)», qui a été publié en juillet 2010. Étant donné le défilé tragique des événements qui ont eu lieu au cours des dix dernières années en Thaïlande, le contenu de l'article reste malheureusement assez contemporain.
Les familles endeuillées des personnes tuées par l'armée thaïlandaise n'ont toujours pas reçu la justice qu'elles méritent. Leur douleur continue chaque jour et les souvenirs ne se sont pas estompés. L'impunité dont jouissent les tueurs, leurs sponsors et ceux qui en ont bénéficié est restée entièrement intacte, tandis que les efforts de réconciliation ont été comiquement performatifs et dépourvus de substance ou de sens.
Il y a beaucoup à apprendre sur la façon dont le monde a pris du recul et a laissé la démocratie mourir en Thaïlande. Vous pouvez revenir sur l'impact historique de la politique étrangère interventionniste américaine qui a établi le double État thaïlandais, les échecs à exiger des comptes après les massacres de 1973, 1976 et 1992, ou vous pouvez même avancer rapidement pour trouver de nombreux défauts dans la stratégie de «pivot asiatique» de l'administration Obama. Vous pourriez signaler la couverture médiatique mondiale incompréhensible et les réponses de la communauté des ONG au coup d'État de 2006, au coup d'État judiciaire de 2008, ou même au massacre de 2010 et aux événements qui ont suivi, qui ont tant contribué à légitimer le glissement vers une dictature pure et simple. Comment auraient-ils pu se tromper de manière si terrible?
L'aboutissement de ces échecs peut être compté en vies perdues, en carrières détruites, en milliers de personnes emprisonnées et en millions de gens privés de leurs droits à la représentation et des droits et libertés fondamentaux de l'homme.
En ce jour, dix ans après les massacres, nous avons le devoir de nous souvenir de toutes les vies perdues, la responsabilité de continuer à rappeler aux dirigeants que l'impunité ne sera pas tolérée pour toujours et que leurs crimes ne seront jamais oubliés, et un engagement à maintenir la la dignité et la sainteté de chaque âme vivant dans ce pays magnifique et complexe. L'avenir appartient aux jeunes de Thaïlande et la vérité exigera d'être entendue.
Lien de l’article en anglais:
https://robertamsterdam.com/still-waiting-for-justice-10-years-after-the-bangkok-massacre/