Visions d'un monde post-Covid-19

Publié le

Par John Davis pour Counterpunch le 8 mai 2020

Source de la photographie: Isengardt - CC BY 2.0

Source de la photographie: Isengardt - CC BY 2.0

Alors que la plupart d'entre nous restent enfermés à la maison, la planète continue de se réchauffer, la glace polaire fond, les océans s'acidifient, les glaciers disparaissent et les mers montent. Les plantes, les animaux et les humains continuent d'être déplacés de leurs habitats habituels. La vie dans notre serre climatologique continue, mais en ce moment, l'une des mille milliards d'espèces microbiennes retient notre attention.

Les infections zoonotiques, exacerbées par le développement urbain s’étendant toujours plus loin sur les dernières terres sauvages du monde, où la faune et l'homme se côtoient depuis peu, sont symptomatiquement liées au réchauffement climatique. La pandémie du Covid-19 est un dernier effet de «la grande accélération», l'ère de l'expansion humaine sans précédent qui a commencé après la Seconde Guerre mondiale et qui s'est poursuivie au cours de ce siècle, alimentée par les nouvelles technologies et une utilisation massive de l'énergie fossile. Les infections se disséminent désormais rapidement, c’est la conséquence de la mondialisation, sur les avions de ligne utilisant du kérosène, et les navires de croisière et les cargos utilisant du diesel, sur les routes mondiales du commerce et du tourisme.

Habitués aux incendies, aux inondations, à la sécheresse, aux températures extrêmes, aux mauvaises récoltes, à la désertification et à l'augmentation de l'incidence des ouragans et des ondes de tempête, soit par expérience directe, soit, plus souvent, par les médias, le lien entre la combustion de combustibles fossiles et le réchauffement climatique a effectivement infiltré la conscience humaine, même si elle continue d'être farouchement niée par certains. Cette conscience doit maintenant s'élargir et inclure les connexions entre les combustibles fossiles et les pandémies virales.

Depuis le milieu des années 1970, avec l'avènement des prévisions climatiques par ordinateur, il est devenu scientifiquement irréfutable que l'augmentation des niveaux de CO2 réchauffe le monde de façon potentiellement mortelle. Pendant cette période de près de 50 ans, nous, en tant qu'individus, communautés, nations et organisations internationales, nous sommes restés collectivement inactifs. Aucun moyen d’y remédier n’a été développé: le vide, rompu seulement par des promesses non tenues, des trahisons, des machinations bureaucratiques futiles et des dénis purs et simples de cette absolue nécessité.

Ce printemps, un nouvel élément est apparu dans cette saga décourageante et abrutissante. Alors que nous étions contraints de rester à la maison, rompus, depuis de nombreuses décennies de somnambulisme, à notre marche vers l'apocalypse climatique, le ciel s'est dégagé, le prix du pétrole est tombé à -40 $ le baril (rebondissant à un peu plus de 20 $ au moment de la rédaction) et l’on prévoit cette année une réduction globale des émissions de carbone de près de 8%. Nous vivons ce qui n’était qu’un rêve, la diminution concrète de notre effrayante consommation de combustibles fossiles. Du point de vue du réchauffement climatique, notre isolement social a été extrêmement efficace, les habitudes pernicieuses, axées sur la croissance, d'exploitation, d'extraction et de destruction de l'habitat ont été suspendues. Une fenêtre s'est ouverte sur un monde moins pollué, où l’on voyage moins, se réchauffant moins rapidement, beaucoup plus sain, un monde, cependant, dans lequel la sensibilité humaine persistante aux maladies virales a de nouveau été flagrante.

Alors que la pandémie mondiale a mis tout le monde en danger, les plus vulnérables sont les personnes âgées, les malades, les obèses, les pauvres, les mal logés et les sans-abri, les minorités, les dépendants et tous ceux qui vivent dans des régions gouvernées par des ineptes et des vénaux. Partout dans le monde, les communautés qui subissent les «premiers et les pires» impacts du réchauffement climatique sont également dévastées par le Covid-19. Pourtant, d’un point de vue biologique, le virus du SRAS-CoV-2 a des niveaux de contamination rigoureux, non discriminatoires. La richesse et la qualité de vie ne peuvent conférer que certains niveaux de protection, ainsi que l'attestent les avis de décès quotidiens: aucun de nous n'est en sécurité. En dépit de ces nombreuses personnes qui sont exposées à des niveaux de risque extrême par les difficultés de leur vie, notre appartenance commune à l’humanité est soulignée, car notre vulnérabilité à tous est la même, face à ce virus de chauve-souris muté.

Pour récapituler: la réponse de la société à la pandémie a ralenti le rythme effréné de l'activité économique due, en grande partie, à l’extraction de la biomasse fossile et à son utilisation  énergétique, réalisée pour la première fois au milieu du XIXe siècle, mais qui a connu une frénésie sans précédent depuis les années 1950. Ce répit a modéré le reflux climatologique d'une atmosphère chargée de carbone. La richesse générée par le capital fossile a été répartie de façon parfaitement inique. Cela a profité aux riches (rendus riches autrefois par la possession des terres, l'héritage et, aux États-Unis et chez ses partenaires commerciaux, par l'esclavage) et a exacerbé les inégalités flagrantes de pouvoir, de ressources et de bien-être institutionnalisées à l'origine dans les sociétés féodales et qui se sont répandues dans le monde à travers le processus de colonisation et de conquête.

Les effets souterrains du réchauffement climatique mettent en évidence le fossé toujours plus large entre un monde d’une richesse obscène et des pauvres de plus en plus nombreux. L'épidémie microbienne récente se révèle comme une possibilité offerte de remédier à la fois au réchauffement climatique et à la disparité des richesses. Toujours enfermés dans le cocon de l'isolement social et stupéfiés par le gel soudain de l'activité économique, nous pouvons maintenant réfléchir à la forme que la société prendra à son émergence de ces événements sans précédent. Jason Moore dans Capitalism in the Web of Life, 2015, écrivait: «Les civilisations ne se forment pas à travers les événements du Big Bang. Elles émergent des transformations en cascade et des bifurcations de l'activité humaine…» Il suggère que le capitalisme «…est sorti du chaos qui a suivi la crise de la civilisation féodale après la peste noire (1347-1353)».

Qu'est-ce qui sortira de la pandémie de Covid-19?

Globalement, il semble y avoir deux visions concurrentes. L’une d’elles privilégie un retour au statu quo ante, une restauration des maux anciens au profit d'une infime minorité, confiante dans sa capacité à surmonter le cataclysme climatique à venir et à échapper aux fléaux à venir. L'autre perçoit la possibilité de «transformations en cascade» qui pourraient conduire à une plus grande égalité, plus d’opportunités et un bien-être accru pour la majorité des gens, dans un monde qui s’abstiendrait d’utiliser les combustibles fossiles, modèrerait les effets croissants du réchauffement climatique et stopperait l’expansion rapide de l'habitat, et par là son exposition concomitante à de nouvelles maladies zoonotiques. L'histoire récente suggère que la première vision, avec peu ou pas de considération pour la seconde, prévaudra. Les effets climatiques, les éclairs de conscience passeront, et les partisans du progrès continueront comme avant à se tordre les mains, désormais soigneusement lavée.

Les renflouements bancaires de 2008, après le krach financier déclenché par la fonte des produits dérivés hypothécaires, fourniront probablement le modèle aux États-Unis et à d'autres pays du premier monde pour relancer leur économie. Les anciennes industries lourdes dépendantes des combustibles fossiles seront relancées, les compagnies aériennes ressuscitées, l'élevage industriel redémarré, l'industrie automobile sauvée de la faillite, l'industrie pétrolière revivifiée et une nouvelle ère de déréglementation naîtra - toutes justifiées par la crise économique.

George Monbiot dans sa chronique hebdomadaire sur l'environnement pour le Guardian du Royaume-Uni suggère:

«C'est notre deuxième chance de faire les choses différemment. Ce pourrait être notre dernière chance. La première, en 2008, a été spectaculairement gaspillée. D'énormes sommes d'argent public ont été dépensées pour remonter la vieille économie sale, tout en veillant à ce que la richesse reste entre les mains des riches. Aujourd'hui, de nombreux gouvernements semblent déterminés à répéter cette erreur catastrophique.»

Aux États-Unis, nous pouvons être sûrs que Trump promouvra l'alimentation de l'économie zombie avec des quantités massives de fonds publics et célébrera chaque petit progrès de cette économie, alors qu'elle reviendra lentement à ses habitudes habituelles de croissance, de pollution et de propagande publicitaire alimentant notre recherche de progrès sociétal par la consommation. Le Club de Rome, le prestigieux groupe de réflexion international qui a publié son rapport fondateur, The Limits to Growth, en 1972, propose une alternative:

«Covid-19 nous a montré qu'une transformation profonde, du jour au lendemain, est possible. Un monde différent, une économie différente se lèvent soudain. Il s'agit d'une occasion sans précédent de s'éloigner de la croissance galopante à tout prix et de l'ancienne économie basée sur les combustibles fossiles, et de parvenir à un équilibre durable entre les peuples, la prospérité et nos frontières planétaires.»

Aux Pays-Bas, plus de soixante-dix universitaires ont cosigné cinq propositions pour un modèle de développement post-Covid-19. Le site Web de l'Université de Leyde, à l'origine de ce document, est, pour le moment, hors ligne, peut-être piraté ou surchargé. Sa première proposition appelle à un abandon du développement axé sur le PIB global, suggérant que la décroissance devrait être appliquée aux industries extractives et à la publicité, tandis que la croissance doit être encouragée dans les secteurs de la santé, de l'éducation et des énergies propres. Sa deuxième proposition recommande l’instauration d’un revenu de base universel financé par une fiscalité progressive, ainsi que le partage de l'emploi et une semaine de travail réduite. La troisième propose une transformation de l'agriculture, avec une production alimentaire locale et des salaires équitables pour les travailleurs agricoles. La quatrième met l'accent sur la nécessité de réduire les voyages et la consommation à tout-va, et la cinquième suggère l'annulation de la dette pour les étudiants, les travailleurs, les propriétaires de petites entreprises et les pays pauvres du Sud.

Cette liste de souhaits classiques d'un programme progressiste répondrait en effet à l'appel du Club de Rome pour «un équilibre durable entre les peuples, la prospérité et nos frontières planétaires». Une croissance sans fin ne peut que se terminer par des larmes, mais nos dirigeants sont accros à un modèle économique expansionniste qui continue de dépendre des combustibles fossiles. L’événement extraordinaire que constitue un confinement mondial alors que le SRAS-CoV-2 galope à travers la planète, nous a donné, au milieu des conséquences épouvantables de la maladie virale et des morts, une vision momentanée d'un monde plus sain, en meilleure santé et plus cool.

John Davis est un architecte vivant dans le sud de la Californie. On peut lire ses écrits sur urbanwildland.org

Lien de l’article en anglais:

https://www.counterpunch.org/2020/05/08/visions-of-a-post-covid-19-world/

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