La nouvelle couleur bleue du Mékong n’augure rien de bon pour l’avenir du fleuve
Un Mékong bleu signifie un naufrage de la biodiversité et des temps difficiles pour les communautés fluviales
Interview de The Isaan Record le 21 janvier 2020
Après le changement inhabituel de couleur du Mékong l'année dernière, l'expert en environnement Santiparp Siriwattanaphaiboon a averti que les changements d'origine humaine «finiront par mettre un terme à la civilisation de ceux qui vivent sur les rives du Mékong».
Les eaux du Mékong étaient traditionnellement d'un brun boueux. Récemment, ses eaux sont devenues bleues, signe annonciateur d'une catastrophe naturelle et sociale.
Le reporter isaan Yodsapon Kerdviboon interview Santiparp Siriwattanaphaiboon, professeur au Département des sciences de l'environnement de l'Université Udon Thani Rajabhat, à propos de ce phénomène récent.
Le changement de couleur du Mékong, explique Santiparp, «est dû au fait que le Mékong ne suit pas son cours naturel. Lorsqu'il ne coule pas naturellement, le sol et les sédiments fossiles contenus dans l'eau tombent au fond du fleuve.» Ce processus, dit-il, change en bleu la couleur de l'eau.
Photo: Santiparp Siriwattanaphaiboon, professeur au Département des sciences de l’environnement de l’Université Udon Thani Rajabhat, se concentre sur l’écologie des rivières et la gestion des ressources naturelles dans le nord-est de la Thaïlande.
Jaillissant de sa source sur le plateau tibétain, le Mékong emmagasine l'eau provenant de la fonte des glaciers avant de traverser des régions aux climats différents. Lorsque le fleuve arrive en Thaïlande et au Laos, le climat devient chaud. Au Vietnam, il devient humide.
«L'eau de la fonte des glaciers [dans les montagnes du Tibet] apporte du sol et des sédiments dans le Mékong, explique Santiparp. «De même, lorsque le fleuve coule à travers les forêts tropicales, il recueille les sédiments des forêts, ce qui fait que le Mékong se remplit de nutriments».
Au fur et à mesure que la rivière traverse ces différents climats, ramassant divers nutriments en cours de route, son eau se peuple de divers animaux aquatiques, créant un environnement spécifique doté d’une grande biodiversité.
Le changement de couleur des eaux du Mékong inquiète Santiparp car, lorsque l’eau est claire, cela signifie que les sédiments ne s’écoulent pas naturellement, ce qui perturbe la chaîne alimentaire du fleuve.
«Lorsque l'eau est claire, les nutriments dans les sédiments ne coulent pas naturellement. Lorsque l’eau ne charrie pas de nutriments, cela affecte les animaux aquatiques et les plantes aquatiques», explique Santiparp. «Il en résultera à terme une diminution du nombre d'animaux aquatiques, ce qui aura des conséquences sur la sécurité alimentaire de ceux qui vivent le long des rives du Mékong.»
La diminution du débit de l’eau
Selon Santiparp, la construction de barrages le long du Mékong perturbe le débit naturel du fleuve. Les barrages réduisent non seulement l'écoulement de l'eau mais retiennent également les sédiments et les empêchent d'atteindre les diverses formations rocheuses de la rivière. Les sédiments sont des sources de nourriture pour les poissons qui s’abritent et pondent leurs œufs à l'intérieur des formations rocheuses.
«Les formations rocheuses sont des lieux de reproduction pour les poissons et elles retiennent également les sédiments naturels. Cela rend l'eau dans ces zones appropriée pour les poissons, ce qui entraîne une augmentation de la quantité de poissons», explique Santiparp.
Le Mékong abrite actuellement 23 barrages, dont 11 en Chine, 7 au Laos, 3 au Cambodge et deux autres à cheval sur la frontière entre la Thaïlande et le Laos.
«Les barrages sur le Mékong entraîneront d’énormes changements dans le fleuve qui pourraient être irréversibles. Le Mékong ne sera plus le même», fait valoir Santiparp.
Photo: des villageois vivant sur les rives du Mékong à Ban Ta Mui, dans le sous-district de Huay Pai, district de Khong Chiam, Ubon Ratchathani, rapportent qu'ils attrapent beaucoup moins de poissons qu'auparavant. (Crédit photo: Panumas Sanguanwong)
Perturbation du mode de vie des riverains
Les changements apportés au Mékong ont certainement affecté ceux qui vivent le long de ses rives, en particulier les pêcheurs. Dans le passé, lorsque la rivière était encore riche en nutriments, les gens pouvaient gagner leur vie en vendant du poisson. Mais ces dernières années, les pêcheurs ont attrapé moins de poisson, ce qui a fait baisser leurs revenus.
Santiparp explique que ce n'est pas seulement la diminution de la pêche qui affecte les économies des communautés fluviales. «Ce n'est pas seulement l'argent qui leur manque, dit-il, mais aussi d'autres ressources.»
Chaque fleuve, dit-il, est soumis à des changements naturels et les riverains du Mékong s'adaptent à ces changements depuis des siècles. Mais les changements actuels se produisent beaucoup plus rapidement qu’auparavant.
«Dans le passé, les rivières changeaient, mais il s’agissait d’un changement lent. Les changements progressifs permettent aux animaux et aux êtres humains de s'adapter, dit-il. Mais de nos jours, le fleuve a été forcé de subir des transformations dues à l'homme.»
Photo: Les petits poissons et les crevettes du Mékong ont été une source de revenus pour les villageois vivant le long des rives du Mékong à Ban Ta Mui, sous-district de Huay Phai, district de Khong Chiam, Ubon Ratchathani. (Crédit photo: Panumas Sanguanwong)
Le Mékong est devenu une cible impuissante pour les investisseurs à la recherche du profit et les entreprises construisant des barrages et produisant de l'électricité. Et ceux qui dépendent du Mékong pour gagner leur vie sont obligés de faire face aux changements rapides provoqués par ces projets. Ceux qui ne peuvent pas s'y adapter doivent souvent quitter les villages et migrer pour travailler en ville. Les communautés riveraines du Mékong se dépeuplent lentement.
«Lorsqu'il n'y a plus d’habitants, il n'y a plus de mode de vie, plus de croyances et plus de culture», explique Santiparp. «La civilisation de ceux qui vivent le long des rives du Mékong disparaîtra finalement.»
Entretien mené par Yodsapon Kerdviboon, publié pour la première fois en thaï le 6 janvier 2020. Traduit en anglais par The Isaan Record.
Lien de l’article en anglais:
https://isaanrecord.com/2020/01/21/blue-mekong-biodiversity-river-communities/