En Inde, l’art se met au service de la protestation paysanne
L'art des fermiers protestataires: un exemple de solidarité
Les trois communes encerclant la capitale indienne New Delhi, Singhu, Tikri et Ghazipur, sont le «centre» de la protestation des agriculteurs depuis le début de l'hiver contre les trois lois sur les fermes (Farm Acts) qui visent uniquement à déréglementer et à corporatiser l'agriculture à grande échelle. Ces trois sites sont devenus au fil du temps le centre de la production artistique anti-établissement sous la forme de journaux, de peintures, de tatouages, d'estampes, d'affiches, de dépliants, etc. Chaque aspect de l'agriculture, du labourage de la terre à la récolte, est une activité artistique primordiale qui établit un esthétisme égalitaire par la participation de chacun. Au milieu de la protestation transgressive croissante, l'art le plus significatif reste les objets faits à la main créés au quotidien par les agriculteurs eux-mêmes entre l'occupation sociale et politique. Les chariots et les tentes montrent ces productions dans toutes leurs teintes idéologiques de la lutte anti-caste à la gauche qui soutient une position pro-agriculteur. Des slogans peints sur les tracteurs aux affiches sur des papiers graphiques simples et des panneaux de fortune pour les langars (NDT: des cuisines coopératives ou chacun peut manger gratuitement) - la liste n'est pas exhaustive. Chaque coin et recoin porte un message de solidarité. Les portraits en plusieurs niveaux d'Ambedkar, Bhagat Singh et Banda Singh Bahadur, entre autres, réduisent l'historicité du temps et des nombres.
Tente de paysans protestataires avec l’inscription «Ressentiment, les fermiers ne sont pas d’accord avec la nouvelle réforme. Le gouvernement doit les écouter.»
Dans la commune de Singhu, des peintures de paysages avec des images de champs de maïs et de femmes rieuses symbolisent l'allégeance provinciale au sol par une imagination périphérique. A Tikri, des jalons de divers villages ont été installés devant des tentes - on peut traverser Lalton Kalan et Mogaen en l'espace de dix minutes chacun! Toutes les frontières rigides se défont sur l'autel de l'art centré sur les personnes. Il y a des griffonnages, des croquis et des illustrations qui se côtoient ensemble sur les murs, les piliers, les bannières, les cartons et les drapeaux signifiant la rage juste, la légitimité et le zèle créatif de la communauté des agriculteurs.
Des éléments tels que du ruban adhésif, des gobelets en papier et des cordes sont utilisés pour l'embellissement, ce qui permet à la durabilité de se délecter de la production artistique locale. Les éléments clés de la forme d'art sont l'interactivité de masse et une utilisation ingénieuse des outils et banals produits quotidiens disponibles. L'indignation quotidienne dans le cœur des agriculteurs et la terrible incertitude des esprits propulsent le symbolisme politique de leur travail. A Tikri, la poésie de Lal Singh Dil est peinte avec les paroles de Mahmoud Darwish.
Ces interventions artistiques interculturelles résument succinctement le mouvement actuel de milliers de révolutionnaires paysans occupants les trois communes. Une effigie du Fond monétaire international a été construite par les agriculteurs locaux avec l’aide d’un fabricant de figurines du Râmâyana, Jaipal Singh de Najafgarh. L'effigie est devenue un processus intersectionnel entre les agriculteurs et les activistes pour l'égalité.
À Ghazipur, des autocollants et des graffitis sur le pont et sur les murs publics se distinguent par leurs couleurs vives. Le message est simple: les déterminants explosent à travers cette création. Une autre série de flexions numériques caricature le premier ministre et ses alliés en tant qu’animaux du zoo.
Les cadres artistiques ne cessent de montrer subtilement les thèmes de la corporatisation, de la migration vers les services de soins et la représentation.
Cet affichage de la liberté artistique devient important puisque l'espace d'élite de l'art a fait de son mieux pour garder le corps marginalisé hors de sa portée. Judith Butler a appelé une telle expression collective une Assemblée performative de la dissidence - où les agriculteurs s'inspirent de leur tradition en incarnant l'image du «public». Une vie communautaire interculturelle prend racine dans toutes les communes occupées par les manifestants à travers le médium de l'art créé par le «famer» - un corollaire de la tradition sikh de «sangat» (NDT: Sangat est un terme utilisé dans le sikhisme pour désigner une communauté basée à un endroit précis et qui se réunit dans un même temple, le gurdwara). Les symboles communs de la terre, de la barre et du chaume se transforment simplement en formes de représentations poétiques par un contre-renversement du sens et en le métamorphosant en un travail d'amour. Les agriculteurs se rassemblent souvent autour de ces expositions quotidiennes pour un échange de sens partagé et pour trouver leurs propres positions dans l'expression de ces préoccupations aux côtés des travailleurs, des étudiants et des sympathisants. L'art signifie une collectivité d'intérêts sectoriels même en période de perte de terres et de moyens de subsistance et restera un puissant rappel de la capacité de l'agriculteur à créer même dans des circonstances fascistes.
Lien de l’article en anglais:
https://www.trolleytimes.online/writings/the-art-of-farmers-in-protest