‘Eh oui, l’avenir est sombre’, selon une experte qui a testé la prédiction de la fin du monde des années 1970

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Entretien avec Gaya Herrington par Edouard Helmore pour The Guardian le dimanche 25 juillet 2021

Une étude controversée du MIT de 1972 prévoyait l'effondrement de la civilisation - et Gaya Herrington était là pour annoncer cette mauvaise nouvelle.

Gaya Herrington

Gaya Herrington

Lors d’une réunion des Nations Unies sur le développement durable, il y a plusieurs années, un responsable de la politique économique est venu se présenter à Gaya Herrington. Se référant à l’Hypothèse Gaïa de James Lovelock (la terre en tant qu’organisme), il lui fit remarquer: «Gaya, ce n’est pas un nom, c’est une responsabilité.»

Herrington, une chercheuse en développement durable et conseillère du thinktank le Club de Rome, originaire de Hollande, a fait la une des journaux ces derniers jours pour avoir rédigé un rapport qui semblait montrer qu'une étude controversée des années 1970 prédisant dans un temps donné l'effondrement de la civilisation était – apparemment – en train de se réaliser.

Les travaux de Herrington, parus alors que se succédaient une série d’événements alarmants concernant l’environnement, depuis les incendies de forêt dans l'ouest des États-Unis et en Sibérie jusqu’aux inondations en Allemagne, et faisant suite à un rapport qui suggère que la forêt amazonienne pourrait cesser de fonctionner comme un puits de carbone, annonçaient la survenue de l'effondrement aux environs de 2040 si les tendances actuelles perduraient.

Les recherches de Herrington – une étoile montante dans les efforts visant à placer l'analyse des données au centre des mesures visant à freiner la dégradation du climat – confirmaient les scénarios les plus sombres élaborés dans une étude historique du MIT de 1972, The Limits to Growth, (Les limites de la croissance), qui avançait diverses hypothèses sur ce qui pourrait arriver lorsque la croissance de la civilisation industrielle se heurterait à des ressources limitées.

Actuellement, le Club de Rome, émetteur de l’étude du MIT, devant l’augmentation de la fréquence des incidents météorologiques extrêmes, à cause de la crise climatique, et l’aggravation, due au réchauffement global des phénomènes divers, poursuit ses observations.

«Du point de vue de la recherche, j’ai pensé qu’il serait intéressant d’effectuer une mise à jour des données sur plusieurs décennies, au lieu de se fier à des observations empiriques», a déclaré Herrington, analyste de développement durable dans la société KPMG, leader de l’audit, du conseil et de l’expertise comptable, qui a récemment qualifié les émissions de gaz à effets de serre de «challenge existentiel et global».

«Les scientifiques du MIT ont déclaré qu’il nous fallait agir immédiatement, afin de réaliser une transition en douceur et limiter les coûts, a expliqué Herrington au Guardian cette semaine. On ne l’a pas fait, et c’est pourquoi nous ressentons l'impact du changement climatique.»

Depuis sa publication, The Limits to Growth s'est vendu à plus de 30 millions d'exemplaires. Il a été publié quatre ans seulement après la bombe démographique de Paul Ehrlich, qui annonçait un effondrement imminent de la population. L’analyse du MIT et les prédictions catastrophiques du second ont toutes deux contribué à alimenter les mouvements en faveur de l’environnement de l'époque, de Greenpeace à Earth First!.

Herrington, 39 ans, dit qu'elle a entrepris cette mise à jour (disponible sur le site Web de KPMG et créditée à son éditeur, le Yale Journal of Industrial Ecology) de manière indépendante «par pure curiosité quant à l'exactitude des données». Ses conclusions étaient sombres : les données actuelles correspondent bien aux prédictions des années 1970 qui montraient que la croissance économique pourrait prendre fin à la fin de la décennie actuelle et que l'effondrement surviendrait environ dix ans plus tard (dans le pire des scénarios).

Le moment choisi pour la parution de l'article de Herrington, alors que les économies mondiales doivent faire face à l'impact de la pandémie, est prémonitoire, alors que les gouvernements dans leur majorité cherchent à revenir au business-as-usual des économies, malgré les avertissements insistants, selon lesquels une croissance économique continue est incompatible avec la durabilité.

Au début de cette année, dans un document intitulé Au-delà de la croissance, l'analyste a écrit clairement: «Au milieu du ralentissement économique mondial et des risques d’une baisse du potentiel de croissance à cause du changement climatique, de troubles sociaux et d’instabilité géopolitique, pour n’en citer que quelques-uns, les dirigeants responsables doivent faire face à la possibilité d’une limitation de la croissance dans l'avenir. Et seul un imbécile continue de courir après l’impossible.»

Herrington, titulaire d'un diplôme en économétrie de l'Université d'Amsterdam et d'une maîtrise en développement durable de Harvard, estime que le domaine de la durabilité économique doit être transformé en une science observable sur laquelle on peut agir.

Sa motivation, dit-elle, est le bien-être des générations futures. «J'aimerais que 'les enfants s’en sortent bien', même si aucun d'eux n'est à moi. Je suis animée par une passion pour le développement durable. Je l'ai toujours été.»

Le responsable politique qui l'a approchée lors de la réunion de l'ONU et qui lui a parlé de la signification et de la responsabilité de son prénom n'avait pas forcément tort, ajoute-t-elle. «Il avait raison dans le sens où ma motivation m'est toujours venue naturellement.»

La principale conclusion de mon étude est que nous avons toujours la possibilité de choisir un scénario qui ne se termine pas par un effondrement.

Les pompiers de Weed, en Californie, se précipitent pour lutter contre un incendie. Les recherches de Herrington ont confirmé les scénarios les plus sombres avancés dans une étude historique du MIT de 1972, intitulée Les limites de la croissance (Crédit photo: Josh Edelson/AFP/Getty Image)

Les pompiers de Weed, en Californie, se précipitent pour lutter contre un incendie. Les recherches de Herrington ont confirmé les scénarios les plus sombres avancés dans une étude historique du MIT de 1972, intitulée Les limites de la croissance (Crédit photo: Josh Edelson/AFP/Getty Image)

L'étude du MIT, dit Herrington, n'a jamais eu pour objectif de faire des prédictions, mais d’indiquer des voies à suivre potentiellement, pendant une période d’immenses changements. Herrington conclut que l'étude de 1972 était essentiellement sur la bonne voie. Ses auteurs cherchaient des voies vers un monde stabilisé en termes de croissance économique.

Elle ajoute qu'il n'y a rien d'inévitable dans ses prédictions – même aujourd’hui.

«La principale conclusion de mon étude est que nous avons toujours la possibilité de choisir un scénario qui ne se termine pas par un effondrement. Avec les innovations dans les entreprises et de nouvelles initiatives de la part des gouvernements et de la société civile, continuer à étudier les données permet d’ouvrir  d’autres perspectives quant aux challenges qui nous attendent et aux opportunités que nous avons pour créer un monde plus durable.

Dans le même temps, dit-elle, la principale préoccupation de l'étude du MIT n’est plus la nôtre. «La rareté des ressources n'a pas atteint le niveau que l’on prévoyait dans les années 70 et la croissance démographique n'est pas aussi effrayante que dans les années 90. Aujourd’hui, la préoccupation principale concerne la pollution et la façon dont ce que disent les climatologues se vérifie entièrement», a-t-elle déclaré.

Les progrès technologiques ont simplement permis que nous allions plus loin et plus profondément pour extraire les combustibles fossiles, et malgré quelques mesures, la consommation et les émissions n'ont fait qu'augmenter. Les auteurs du MIT, souligne-t-elle, l'avaient prédit. «Ils ont dit que même si nous innovions pour pallier la rareté des ressources, nous verrions probablement une augmentation de la pollution due à ces innovations, à moins que nous ne limitions également notre recherche continue de croissance», a-t-elle déclaré.

Dans la nouvelle étude, Herrington s'est concentrée sur deux scénarios utilisant une gamme de variables ou de marqueurs, notamment la population, les taux de fécondité, les taux de mortalité, la production industrielle, la production alimentaire, les services, les ressources non renouvelables, la pollution persistante, le bien-être humain et l'empreinte écologique.

Dans un cas, appelé business-as-usual, ou BAU2, la croissance stagnerait et se combinerait avec l'effondrement de la population. L'autre, appelée technologie globale (CT), modéliserait une croissance économique au point mort sans effondrement social. Les deux scénarios «prévoient un arrêt de la croissance d'ici une dizaine d'années», indique l'étude, car «poursuivre continuellement la croissance n'est pas possible.»

La réponse, c’est la durabilité, dit-elle.

«Il existe un moyen durable de créer de la valeur et de la prospérité qui possède également un immense potentiel économique. Faire le bien peut encore rapporter du profit. En fait, nous en voyons des exemples en ce moment. L'augmentation de ces efforts crée maintenant un monde plein d'opportunités qui est également durable», a-t-elle déclaré.

Ironiquement, la pandémie, croit-elle, a même montré au monde ce qui pourrait être possible.

«Nous sommes tout à fait capables de faire d'énormes changements, et nous l'avons vu avec la pandémie, mais nous devons agir maintenant si nous voulons éviter des coûts beaucoup plus importants que ce que nous prévoyons», a-t-elle ajouté.

Lien de l’article en anglais:

https://www.theguardian.com/environment/2021/jul/25/gaya-herrington-mit-study-the-limits-to-growth

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