Histoire: 1630, l’exécution du tout premier condamné à mort d’Amérique
Le meurtre était du voyage
Par Jim Thompson publié par Mercury Mystery Magazine en 1956, traduit par Jean-Paul Gratias et recopié du livre «Ecrits perdus 1929 – 1967» de Jim Thompson (éditions Rivages/Noir)
L'ancien baleinier roulait et tanguait le long des côtes du Massachusetts, et l'homme qui en avait la charge se demandait s'il ne conviendrait pas de toucher terre sans plus attendre. Le navire s’appelait le May-Flower; l’homme était le gouverneur William Bradford. Finalement, il fut décidé que les colons s’installeraient là plutôt que de gagner leur destination première, à savoir la Virginie.
Bradford savait que le roi ne leur refuserait pas de leur accorder par lettre patente les terres dont ils auraient besoin. Mais parmi les Pères Pèlerins, quelques-uns renâclèrent et proférèrent des menaces. John Billington était de ceux-là. Il avait embarqué à Southampton avec sa femme, Eleanor, et leurs deux enfants, John Junior et Francis. Billington en voulait au gouverneur de l’avoir contraint à fesser publiquement l’un de ses fils, lorsque le garnement, s’étant emparé du pistolet paternel, avait fait feu en direction de la réserve de poudre du navire, mettant en péril la vie de tous les passagers. Billington avait donc trouvé tout naturel de se ranger derrière les contestataires.
Le gouverneur réagit contre cette rébellion avec sa fermeté habituelle. Rassemblant les passagers, il leur enjoignit de signer un pacte d’union en vue de fonder la colonie de Plymouth, pacte dans lequel étaient stipulés leurs devoirs et leurs obligations. Tout le monde signa le document, y compris Billington. Et tout le monde semblait disposé à oublier la querelle – Billington excepté.
Lorsqu’ils eurent débarqué, Billington fit montre de grossièreté en contestant un ordre donné par le capitaine Miles Standish, lui lançant, entre autre épithètes, celle de «capitaine Crevette».
Standish était furieux, Bradford sérieusement indigné. En guise de sanction, Billington fut exhibé publiquement dans une posture aussi douloureuse qu’humiliante, les chevilles et le cou liés ensemble.
Cette cruelle expérience, apparemment, n’eut d’autre résultat que de pousser Billington à se révolter davantage. En effet, le gouverneur Bradford nota dans son journal que ce dernier était «souvent puni pour ses écarts de conduite». Plus tard, il ajouta même laconique: «Gredin il est, et gredin il mourra.»
L’insubordination de Billington ne fit qu’empirer. Trois ans plus tard, il était emprisonné pour avoir tenté de diviser la colonie, sur le plan «religieux et politique», mais il fut relâché faute de preuves.
Mais ce fut pendant l’été 1630 qu’il commit ce qui devait être le couronnement de tous ses crimes précédents. John Newcomin était arrivé à Plymouth après la fondation de la colonie. Lorsqu’il vint trouver le rebelle pour lui demander des comptes quant à sa participation au travail communautaire et son assiduité aux offices religieux, Billington fut pris de rage.
Un jour, les deux hommes se rencontrèrent dans les bois. Billington épaula aussitôt son mousquet et fit feu. Newcomin, venu sans armes, tenta de s’enfuir en s’abritant derrière les arbres et les rochers tout en appelant à l’aide. Mais Billington, sans se soucier le moins du monde des conséquences de son acte, et malgré sa certitude d’être appréhendé, rechargea son mousquet et poursuivit sa victime. Il ne tarda pas à faire mouche. Newcomin fut tué net.
Pris en flagrant délit, John Billington fut jeté en prison et inculpé de meurtre. Un jury le déclara aussitôt coupable et le condamna à la pendaison.
Billington, furieux, déclara que les colons n’avaient pas le droit de le pendre. Rien, dans leur charte, ne les autorisait à prononcer la peine capitale. Seul le tribunal royal, en Angleterre, pouvait requérir pareille sentence.
Il savait bien que son procès ne pourrait jamais avoir lieu en Angleterre. Il eût fallu, pour cela, lui faire retraverser l’Atlantique, ainsi qu’à tous ceux qui devaient témoigner contre lui. Sans compter que la colonie aurait dû subvenir aux besoins des familles desdits témoins pendant leur absence. En de telles circonstances, suggéra Billington avec aplomb, mieux valait oublier tout simplement cette affaire.
Le gouverneur Bradford rejeta cette solution de facilité. Mais les arguments du meurtrier avaient semé le doute dans son esprit. Il se rendit à Boston où il s’entretint avec John Winthrop, gouverneur de la colonie – nouvellement fondée – de la baie du Massachusetts, et Thomas Dudley, un magistrat local. Tous deux conclurent que, malgré l’absence d’un précédent et d’une clause spécifique dans la charte, John Billington pouvait être légalement exécuté dans la colonie – et devait l’être assurément.
C’est ainsi que le 30 septembre 1630 Billington fut pendu à Plymouth – devenant ainsi le premier meurtrier condamné et exécuté en Amérique.