Les années socialistes en Afghanistan: l'avenir prometteur tué par l'impérialisme américain
Par Marilyn Bechtel pour People’s World le 15 Avril 2021
Des femmes assistent à un rassemblement à Kaboul à la fin des années 1970 (Crédit photo: Imgur via Pinterest)
Au milieu des années 1970 et au début des années 1980, Marilyn Bechtel, correspondante de People's World, était rédactrice en chef du magazine bimestriel New World Review. Elle s'est rendue en Afghanistan à deux reprises, en 1980 et 1981. L'article ci-dessous est paru pour la première fois dans nos pages le 6 octobre 2001, la veille du lancement de la guerre des États-Unis en Afghanistan, sous le titre «Afghanistan: Some overlooked history (Afghanistan: une histoire oubliée)». L'administration Biden retirant désormais toutes ses troupes du pays, nous présentons cet article pour rappeler que la plus longue guerre des États-Unis avait des racines qui allaient au-delà des attaques terroristes du 11 septembre, remontant à l'anticommunisme de la guerre froide.
Depuis les horribles événements du 11 septembre, on a beaucoup parlé de la situation désespérée du peuple afghan maintenant écrasé sous la botte des talibans théocratiques et dictatoriaux, et du rôle de l'Alliance du Nord et d'autres opposants talibans qui figurent désormais dans le camp des projets de Washington pour la région.
On a parlé, la plupart du temps en le déformant, du rôle de l'Union soviétique dans les années 1978 à 1989. On a parlé, la plupart du temps en le sous-estimant, du rôle des États-Unis dans la constitution des forces moudjahidines, y compris les Talibans.
Mais presque personne ne parle des efforts déployés par le peuple afghan à la fin des années 1970 et dans les années 1980 pour se libérer de l'héritage des tribus en guerre incessante et des fiefs féodaux et commencer à construire un État démocratique moderne. Ou sur le rôle de l'Union soviétique bien avant 1978.
Un peu de contexte permet de faire la lumière sur la crise actuelle. L'Afghanistan était un prix géopolitique pour les bâtisseurs d'empire du XIXe siècle, contesté à la fois par la Russie tsariste et l'Empire britannique. Il fut finalement contraint par les Britanniques à la semi-dépendance.
Lorsqu'il est arrivé au pouvoir en 1921, Amanullah Khan, parfois appelé le Kemal Atatürk de l'Afghanistan, a cherché à réaffirmer la souveraineté de son pays et à l'orienter vers le monde moderne. Dans le cadre de cet effort, il a approché le nouveau gouvernement révolutionnaire à Moscou, qui a répondu en reconnaissant l'indépendance de l'Afghanistan et en concluant le premier traité d'amitié afghano-soviétique.
De 1921 à 1929 – année lors de laquelle des éléments réactionnaires, aidés par les Britanniques, ont forcé Amanullah à abdiquer - les Soviétiques ont aidé à lancer les débuts de projets d'infrastructure économique, tels que les centrales électriques, les ressources en eau, les transports et les communications. Des milliers d'étudiants afghans ont fréquenté les écoles techniques et les universités soviétiques.
Après le départ forcé d'Amanullah, ces projets languirent, mais la relation entre les Soviétiques et les Afghans reviendra plus tard.
Le Centre pour la science et la culture a été construit à Kaboul comme un cadeau du peuple de l'Union soviétique. Une fois que les forces moudjahidines soutenues par les États-Unis ont pris le pouvoir, l'installation a été détruite (Crédit photo: TASS)
Dans les années 1960, une résurgence de projets conjoints afghano-soviétiques comprenait l'Institut polytechnique de Kaboul, la principale ressource éducative du pays pour les ingénieurs, géologues et autres spécialistes.
L'Afghanistan n'était pas non plus à l'abri de l'effervescence politique et sociale qui a caractérisé le monde en développement durant le siècle dernier. A partir des années 1920, de nombreux courants de lutte progressistes ont pris acte des expériences de l'URSS, où une nouvelle société plus équitable émergeait sur les terres de l'ancien empire russe. L'Afghanistan n'a pas fait exception. Au milieu des années 60, les courants révolutionnaires nationaux-démocrates s'étaient regroupés pour former le Parti démocratique du peuple (PDP).
Immeubles d'appartements modernes construits à Kaboul dans les années 1980 avec l'aide soviétique (Crédit photo: TASS)
En 1973, les forces bourgeoises locales, aidées par certains éléments du PDP, ont renversé le règne de 40 ans de Mohammad Zahir Shah, l'homme qui, à 86 ans, a été promu par les républicains de droite américains comme le personnage autour duquel les Afghans pourraient s'unir. .
Lorsque le PDP a pris le pouvoir en 1978, il a commencé à œuvrer pour une répartition plus équitable des ressources économiques et sociales. Parmi leurs objectifs figuraient l'émancipation continue des femmes et des filles de la servitude tribale séculaire (un processus commencé sous Zahir Shah), l'égalité des droits pour les nationalités minoritaires, y compris le groupe le plus opprimé du pays, les Hazara, et l'amélioration de l'accès des gens ordinaires à l'éducation, aux soins médicaux, à un logement décent et à l'assainissement.
Un moudjahidine islamiste utilise un missile Stinger de fabrication américaine fourni par la CIA près de Gardez, Afghanistan, décembre 1991 (Crédit photo: Mir Wais/AP)
Lors de mes deux visites en 1980-81, j'ai vu un début de progrès: des femmes travaillant ensemble dans des coopératives artisanales, où pour la première fois elles pouvaient être payées décemment pour leur travail et contrôler l'argent qu'elles gagnaient. Des adultes, femmes et hommes, apprenaient à lire. Des femmes travaillaient comme professionnelles et occupant des postes gouvernementaux de premier plan, y compris celui de ministre de l'Éducation. Des familles de travailleurs pauvres capables de s'offrir un médecin et d'envoyer leurs enfants – filles et garçons – à l'école. Et aussi, l'annulation de la dette paysanne et le début de la réforme agraire ainsi que des coopératives paysannes naissantes, le contrôles des prix et réductions de prix sur certains aliments clés et l’aide aux nomades intéressés par une vie sédentaire.
J'ai également vu les résultats amers des attaques des moudjahidines par les mêmes groupes qui forment maintenant l'Alliance du Nord – au cours de ces années-là, ciblant en particulier les écoles et les enseignants des zones rurales.
Les développements post-1978 comprenaient également une aide soviétique pour des projets économiques et sociaux à une échelle beaucoup plus grande, avec un nouveau traité d'amitié afghano-soviétique et une variété de nouveaux projets, y compris les infrastructures, la prospection des ressources et de l'exploitation minière, des services de santé, de l'éducation et des projets de démonstration agricole. Après décembre 1978, ce rôle en vint également à inclure l'introduction de troupes soviétiques, à la demande d'un gouvernement PDP de plus en plus assailli par les chefs de guerre féodaux et tribaux qui étaient aidés et organisés par les États-Unis et le Pakistan.
Le reste, comme on dit, appartient à l'histoire. Mais il est significatif qu'après le retrait des troupes soviétiques en 1989, le gouvernement du PDP ait continué à fonctionner, bien que de plus en plus assiégé, pendant près de trois ans de plus.
Quelque part, sous les ruines de l'Afghanistan déchiré et ensanglanté d'aujourd'hui, se trouvent les graines qui restent, même dans les moments les plus difficiles, dans le cœur des gens qui savent qu'il y a un avenir meilleur pour l'humanité. Dans un monde qui lutte pour la justice économique et sociale, et non pour la vengeance, ces graines germeront à nouveau.
Marilyn Bechtel écrit pour People's World depuis la région de la baie de San Francisco. Elle s'est jointe au personnel de PW en 1986 et y participe actuellement en tant que bénévole.
Lien de l’article en anglais: