Histoire: L’origine du différend sur les îles Paracels entre la Chine et le Vietnam
Le différend remonte au 19e siècle et a failli provoquer une guerre en 1947 entre la France et la Chine
Par Stein Tønnesson pour Southeast Asian Globe le 7 février 2022
À l'est du centre du Vietnam et au sud de l’île chinoise de Hainan, un groupe de minuscules îles sème la discorde dans la mer de Chine méridionale. La clé pour comprendre le conflit remonte bien au-delà des gros titres médiatiques contemporains.
Le Vietnam est l'un des pays qui a longtemps revendiqué la souveraineté des Paracels, pourtant elles sont sous contrôle chinois. La raison peut être trouvée dans une confrontation franco-chinoise dramatique en 1947 et une guerre évitée de justesse.
Territoire contesté
La dynastie vietnamienne Nguyen a revendiqué les Paracels pour la première fois en 1816. Pourtant, la France, après avoir colonisé le Vietnam, ne leur a pas montré beaucoup d'intérêt et la Chine a développé une revendication rivale en 1909. Craignant l'expansionnisme japonais, la France a réaffirmé la revendication annamite (vietnamienne) en 1931.
Lorsque la France a envoyé une force franco-vietnamienne pour occuper les îles en 1938 et construire un phare, elle a constaté que les forces japonaises qui occupaient l’île de Taïwan s’étaient déjà implantées là avant elle. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Paracels ont été occupées par des forces nippones et franco-vietnamiennes vivant côte à côte. Suite à la capitulation japonaise en août 1945, les îles sont abandonnées et laissées aux pêcheurs qui y séjournaient de façon saisonnière.
Un avion de reconnaissance en novembre 1946 a confirmé ce qu'un navire français avait repéré en mai de cette même année: les îles étaient désormais inoccupées.
Carte française de 1938 montrant que la France venait d'ériger un phare sur l'île Pattle dans le groupe sud-ouest du croissant des Paracels
L'impasse de 1947
En octobre 1946, le gouvernement français chargea son haut-commissaire à Saigon d'établir une présence dans la plus grande des îles paracels, Woody Island, et d'ériger une station météorologique. Le haut-commissaire Georges Thierry d'Argenlieu était cependant occupé à préparer la guerre contre la République démocratique du Vietnam de Ho Chi Minh.
La première guerre d'Indochine éclate à Hanoï le 19 décembre 1946. Alors que les Français et les forces du Viet Minh se battent de maison en maison dans la ville densément peuplée de Hanoï, le haut-commissaire décide d'envoyer un navire de guerre dans les Paracels inoccupées en réponse à l'instruction du gouvernement français. .
Cependant, cette fois, la Chine était arrivée la première. Un avion de reconnaissance français a observé un groupe d'hommes sur Woody Island, agitant des drapeaux chinois le 10 janvier. Lorsque le navire de la marine française, Le Tonkinois, est arrivé sept jours plus tard, le navire a été accueilli par un détachement chinois composé de trois officiers et 60 hommes.
Les Français ont informé les Chinois que les Paracels étaient un territoire vietnamien, sous protection française, et ont exigé qu'ils partent rapidement. Ils ont refusé. Des menaces ont été proférées et des pots-de-vin ont été offerts, tout cela sans effet.
La sonnette d'alarme a sonné à Paris et à Nanjing, la capitale du gouvernement nationaliste chinois. La France ne pouvait pas se permettre une guerre avec la Chine à un moment où elle combattait les forces vietminh de Ho Chi Minh. Cela risquait de déclencher une intervention chinoise en soutien au Viet Minh.
De son côté, le dirigeant chinois Chiang Kai-shek était sous la pression de son parti Kuomintang qui lui mettait la pression pour défendre fermement les revendications de souveraineté de son pays en mer de Chine méridionale. Bien qu'il ait besoin de se concentrer sur sa guerre contre l'Armée rouge de Mao Zedong, Chiang ne pouvait pas faire de concessions à une puissance coloniale sans risquer de perdre la face.
Le ministère français des Affaires étrangères a brièvement discuté d'un accord possible dans lequel la Chine obtiendrait les Paracels si la France recevait officiellement les Spratleys. Au lieu de cela, Paris a proposé à Nanjing que la question de la souveraineté dans les Paracels soit portée en arbitrage par la Cour internationale de justice de La Haye.
Chiang Kai-shek a refusé. Quel que soit le régime, la Chine est réticente à laisser les décisions de frontière à des étrangers, insistant plutôt sur la négociation bilatérale de ses frontières avec chacun de ses voisins. En 2014, la Chine a également refusé de participer à un arbitrage initié par les Philippines pour résoudre certains problèmes juridiques concernant les Spratleys. Cela a conduit à un jugement en 2016 par un tribunal arbitral constitué en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, affirmant que la Chine n'avait aucun droit historique sur les zones maritimes à l'intérieur de sa ligne à 9 pointillés et qu'aucune des îles Spratly ne pouvait faire partie de sa zone économique ou de son propre plateau continental. C'était un jugement qu'aucun gouvernement chinois ne pourrait jamais accepter.
L'impasse de janvier 1947 à Woody Island s'est terminée avec le départ du Tonkinois. Au lieu d'affronter les forces chinoises, le navire met le cap sur l'île Pattle dans la partie sud-ouest des Paracels et y laisse une garnison franco-vietnamienne. Les Paracels ont ensuite été divisées entre les Chinois et les Vietnamiens.
Revendications concurrentes
Rencontre entre le général Leclerc, le général Giap et le commissaire français pour l'Indochine, Jean Sainteny, en 1946 à l’occasion de négociations sur l'indépendance de l'Indochine
En mai 1947, le parlement de la République de Chine a exhorté Chiang à récupérer le reste des Paracels, y compris l'île de Pattle, désormais détenue par la France. Ceci en utilisant la force si nécessaire. Pourtant, Chiang était trop occupé à combattre Mao. Lorsque Chiang s'est enfui à Taiwan en 1950 et que Mao a pris le contrôle total du continent chinois, la garnison de Chiang à Woody Island a été retirée.
Woody Island est resté inoccupé pendant les cinq années suivantes, tandis que l'État du Vietnam sous contrôle français a continué à occuper l'île Pattle. La Chine a rétabli une présence sur Woody Island en 1955.
La division des Paracels a duré jusqu'en 1974. À une époque où le Sud-Vietnam ne pouvait plus compter sur le soutien américain, Mao a fait ce que Chiang avait été invité à faire en 1947. Mao a utilisé la force pour s’emparer de l'ensemble des Paracels, là où se trouve aujourd'hui une importante base militaire chinoise.
Cependant, la République socialiste du Vietnam maintient fermement la revendication historique de souveraineté du Vietnam.
Stein Tønnesson est professeur-chercheur à l'Institut de recherche sur la paix d'Oslo (PRIO) et auteur de "La révolution vietnamienne de 1945" et "Vietnam 1946 : comment la guerre a commencé".
Lien de l’article en anglais:
https://southeastasiaglobe.com/paracels-source-south-china-sea-dispute-conflict-history/