1982: Quand Joe Biden spéculait avec le premier ministre israélien de l’époque, Menahem Begin, sur l'élimination des Canadiens
Par Ben Burgis pour Jacobin Mag le 22 octobre 2023
En 1982, Joe Biden, alors sénateur, a rencontré le dirigeant israélien au moment de l’invasion sanglante du Liban. Biden a exprimé son soutien à la campagne et a même émis l’hypothèse que les États-Unis seraient tout aussi justifiés de bombarder des villes canadiennes en représailles à des supposées attaques de militants canadiens.
Le sénateur Joe Biden, assis dans la salle d'audience du Sénat, le 11 mai 1983 (Crédit photo: Bettmann/Getty Images)
En 1982, le Premier ministre israélien Menahem Begin s'est rendu à Washington, DC. C’était à l’époque ou Israël envahissait le Liban, où se trouvaient alors diverses factions palestiniennes, et le monde assistait à un bain de sang au Moyen-Orient.
Normalement, les premiers ministres israéliens peuvent s’attendre à un accueil chaleureux lors de leur visite aux États-Unis. Cependant, comme pour la guerre actuelle d'Israël à Gaza, certains hommes politiques américains étaient en colère contre le caractère belliqueux des actions d'Israël et souhaitaient une désescalade.
Certains rapports de l’époque (et depuis) suggéraient que l’une des colombes en colère en 1982 était le sénateur Joseph Biden. La vérité semble être plus compliquée.
Begin a rencontré Biden et de vagues rapports ont décrit une sorte d’échange de colère. Les souvenirs de Begin de cette réunion ont été rapportés à l'époque dans un grand journal israélien, Yedioth Aharonot. Certains détails de ce que Begin se souvenait de ce que Biden lui avait dit sont véritablement choquants, mais ils semblent désormais être largement oubliés en Israël – en particulier celui que Biden avait lancé à propos de bombardements américains hypothétiques sur des villes au Canada. «Si des attaques avaient été lancées du Canada vers les États-Unis», avait fait remarquer Biden, «tout le monde ici aurait dit: 'Attaquez toutes les villes du Canada, et cela ne nous importe pas si tous les civils sont tués.'»
Pour autant que je sache, ces détails n’ont jamais été rapportés dans la presse anglophone (ni francophone) – jusqu’à présent.
Quand Biden s’est heurté à Begin
Écrivant dans le Wall Street Journal quelques semaines après l’élection présidentielle de 2020, l’historien présidentiel Tevi Troy raconte la rencontre entre Biden et Begin. Troy ne cite pas la version de Biden de la conversation, bien qu'il parle vaguement du futur président «faisant la leçon à Begin, 68 ans, sur les colonies» qu'Israël construisait dans le territoire palestinien occupé en Cisjordanie et avertissant Begin qu’Israël risque de perdre le soutien des États-Unis. Au lieu de nous donner de vrais détails sur le point de vue du sénateur Biden, il parle beaucoup de la théâtralité de la réunion – les doigts piqués, les poings frappés sur la table – et cite Begin qui s'offusque du sénateur qui le défie de quelque manière que ce soit. «Je ne suis pas», a déclaré Begin à Biden, «un juif aux genoux tremblants».
Sans citer aucun de ses commentaires spécifiques, Troy affirme que Biden aurait averti Begin que «l’érosion du soutien à Israël» pourrait mettre en danger l’aide américaine future. Begin semble avoir pris cela comme une menace de suspendre l'aide si la politique israélienne ne changeait pas, et Troy le cite en disant qu'Israël «respecterait» ses «principes» avec ou sans votre aide.
Honnêtement, cependant, tout ce que nous savons sur la façon dont le sénateur Biden s'est positionné sur la question à l'époque donne à penser qu'il s'exprimait plus probablement en tant que partisan de l'aide américaine, craignant que lui et ses amis ne soient pas en mesure de la fournir dans les délais à l’avenir. Mais quelle était exactement sa préoccupation?
Une description plus utile parue à l'époque dans le Sydney Morning Herald rend la position de Biden plus claire. D'autres sénateurs, selon le rapport du Herald, étaient en colère contre la belligérance israélienne au Liban. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi. Plusieurs milliers de civils ont été tués au Liban pendant cette guerre. L'attaque israélienne spécifique à laquelle ces autres sénateurs faisaient face à Begin avait, selon les rapports même de l'armée israélienne, tué 460 à 470 civils et fait vingt mille autres sans abri. Des sources palestiniennes évaluaient ces chiffres à dix mille civils morts et soixante mille autres sans abri.
Le sénateur Biden, cependant, louvoyait entre Begin et les colombes en colère. Biden «a déclaré qu’il ne critiquait pas l’opération au Liban, mais estimait qu’Israël devait mettre un terme à sa politique d’établissement de nouvelles colonies juives en Cisjordanie». Biden «a ensuite précisé qu’Israël perdait son soutien dans ce pays à cause de la politique de colonisation».
Comme on pouvait s’y attendre, cet argument est tombé dans l’oreille d’un sourd. Le Premier ministre ultraconservateur «a rejeté les appels, affirmant que les Juifs avaient le droit de s’installer dans la région qu’il appelait Judée et Samarie». Et en fin de compte, la réaction de Biden et des autres sénateurs n’était guère plus que de l’agacement. «Malgré les critiques», a rapporté le Herald, «M. Begin a quitté Washington heureux de voir son approche fondamentale de la crise libanaise approuvée par M. Reagan.»
Hypothétiquement, et si nous devions tuer tous les Canadiens?
Mais qu’a dit exactement le sénateur Biden à propos de la crise libanaise? Le rapport du Sydney Morning Herald ne le dit pas. Il ne semble pas que Biden ou Begin aient décrit cette partie de la conversation de manière détaillée aux journalistes de la presse anglophone de l’époque. Peut-être que personne ne se souciait beaucoup des opinions d'un sénateur du Delaware.
Begin a cependant raconté la conversation de manière très détaillée à Yedioth Aharonot. Un commentaire de Biden en particulier semble avoir plu à Begin (la traduction suivante est issue d'une consultation avec plusieurs hébreux):
Les commentaires de Biden étaient offensants, a déclaré Begin. Soudain, il [Biden] a dit: «Qu’avez-vous fait au Liban? Vous avez anéanti ce que vous avez anéanti.»
«J’étais certain, a raconté Begin, qu’il s’agissait d’une continuation de son attaque contre nous», mais Biden a poursuivi: «C’était génial! Cela devait être fait! Si des attaques avaient été lancées depuis le Canada vers les États-Unis, tout le monde ici aurait dit: «Attaquez toutes les villes du Canada, et nous ne nous soucions pas de savoir si tous les civils sont tués.»
Si tel était le cas, nous a dit Begin, je me demandais pourquoi toutes ces protestations. Il s’est avéré que Biden ne protestait pas du tout à propos de l’opération au Liban, il était en colère contre ce que faisait Israël en Judée-Samarie.
En fait, l'invasion du Liban par Israël est intervenue après un long cessez-le-feu au cours duquel très peu d'attaques contre des cibles israéliennes ont été lancées depuis ce pays, mais Israël a fréquemment frappé des cibles palestiniennes là-bas, tuant des centaines de personnes. La justification immédiate de l’invasion était une tentative d’assassinat contre l’ambassadeur israélien Shlomo Argov plutôt qu’une sorte d’attaque terroriste massive.
Malgré ces détails gênants, le calcul moral du sénateur Biden semblait assez clair. Tout comme les parallèles troublants avec son soutien sans failles en tant que président à la campagne de bombardements meurtriers et aveugles d'Israël sur Gaza. Quelles que soient les objections que Biden ait pu avoir à l’égard de la politique d’implantation de Begin en Cisjordanie, il considérait clairement Israël, comme les États-Unis, comme une nation spéciale ayant le droit de verser des océans de sang dans des conflits avec des adversaires de moindre importance.
Je me demande cependant ce que les responsables canadiens pensent des propos du président des États-Unis selon lesquels toute attaque hypothétique de la part de groupes terroristes opérant au Canada justifierait ce qui ressemble à une réponse américaine purement génocidaire. Il pensait, rappelons-le, que ce serait une chose «phénoménale» dans un tel scénario si les États-Unis attaquaient «toutes» les villes du Canada, même si «tous» les civils y mouraient. Si Biden a vraiment dit cela, cela suggère que non seulement il considère que la vie des Libanais et des Palestiniens est très bon marché – un fait déprimant, mais pas particulièrement surprenant – mais que les vies des Canadiens sont dans la même catégorie.
Des journalistes devraient maintenant interroger le président Biden sur ces commentaires. Et pendant qu'ils y sont, ils devraient voir s'ils peuvent obtenir un commentaire de Justin Trudeau.
Ben Burgis est un chroniqueur de Jacobin Mag, professeur adjoint de philosophie à l'Université Rutgers et animateur de l'émission et du podcast YouTube Give Them An Argument. Il est l'auteur de plusieurs livres, son plus récent étant Christopher Hitchens: What He Got Right, How He Went Wrong, and Why He Still Matters.
Lien de l’article en anglais: