L'entêtement des Gaulois: la France, Netanyahou et les mandats d'arrêt de la CPI

Publié le par La Gazette du Citoyen

Par Binoy Kampmark pour Counterpunch le 2 décembre 2024
 

Dessin de Nathaniel St. Clair

Dessin de Nathaniel St. Clair

La courtoisie des nations, du moins en matière de droit international humanitaire, a pris un tournant plutôt curieux avec l'annonce par la France qu'elle considérerait l'immunité du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu comme irréprochable même avant qu'un  mandat d'arrêt ne soit émis  par la Cour pénale internationale. Cette opinion a été exprimée alors que la France se revendique comme un fervent défenseur de la CPI et du droit international.
Le 27 novembre, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot avait  souligné  sur Franceinfo que la France, tout en étant «très attachée à la justice internationale et appliquant le droit international en vertu de ses obligations de coopération avec la CPI», devait néanmoins tenir compte des limites du statut de la Cour, qui «traite des questions d'immunité de certains dirigeants». Se donnant une marge de manœuvre pour sortir d'un éventuel imbroglio juridique, il s'est contenté de laisser «aux autorités judiciaires le soin de décider».
La principale raison de la non-coopération avec la CPI sur ce point est liée aux articles 27 et 98 du  Statut de Rome. Le premier stipule clairement que «les immunités ou les règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne […] n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence». Les dispositions du second empêchent la Cour de donner suite à une demande de remise ou d’assistance exigeant de l’État requis «qu’il agisse de manière incompatible avec ses obligations en vertu du droit international à l’égard de l’immunité étatique ou diplomatique d’une personne ou d’un bien d’un État tiers», à moins que cet État tiers n’ait coopéré pour lever l’immunité.
La  déclaration  du ministre français des Affaires étrangères a simplement servi à montrer que l'efficacité du mandat d'arrêt devait être évaluée à l'aune de l'appartenance d'Israël au Statut de Rome, une interprétation aussi fallacieuse qu'inexacte. «On ne peut pas reprocher à un État d'agir d'une manière incompatible avec ses obligations en vertu du droit international en ce qui concerne les immunités accordées aux États qui ne sont pas parties à la CPI.» Il en résulte que Netanyahou et ses ministres bénéficient des immunités nécessaires «et doivent être pris en considération si la CPI nous demande de les arrêter et de les livrer.»
Il s'agit là d'un hommage de façade plutôt mesquin à une fière tradition juridique et politique supposément partagée par Israël et la France. Les deux pays partageaient une «amitié de longue date». Tous deux étaient des «démocraties attachées à l'État de droit». Tous deux faisaient preuve de «respect pour un système judiciaire professionnel et indépendant». Ces observations étaient remarquables, compte tenu des  mesures provisoires et  des avis  émis par la Cour internationale de justice au sujet des opérations israéliennes dans la bande de Gaza et, plus généralement, dans les territoires occupés.
Il s'agit notamment du risque réel de génocide à Gaza (l'affaire entamée par l'Afrique du Sud est en cours), de la privation des biens de première nécessité, des cas de famine et de sous-alimentation, et du statut illégal des colonies, qui implique des lois et des pratiques de dépossession et de séparation constituant une discrimination raciale et un apartheid. Et que penser de  l'attaque autoritaire de Netanyahou  contre le système judiciaire israélien lui-même, destinée à donner plus de liberté au pouvoir exécutif?
L'approche française atténue l'effet des mandats d'arrêt en rejetant de fait la compétence de la CPI sur les responsables et les commandants israéliens, alors que la Cour elle-même a conclu qu'elle était compétente en vertu des opérations israéliennes sur le territoire palestinien et de l'adhésion des Palestiniens au Traité de Rome. Cela n'a pas impressionné la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) et son organisation membre française, la Ligue des droits de l'Homme (LDH), qui ont souligné l'importance de l'article 27.  Selon  Nathalie Tehio, présidente de la LDH, la suspicion sur l'efficacité du droit international «lui porte dangereusement atteinte à un moment où on en a vraiment besoin».
Tehio a souligné qu’aucun argument en faveur d’une immunité équivalente n’avait jamais été avancé concernant le mandat d’arrêt de la CPI contre le président russe Vladimir Poutine, bien que la Russie ne soit pas partie au Statut de Rome. Cela révèle un «double standard» qui a porté atteinte à la réputation de la France, «en particulier vis-à-vis des pays du Sud».
D’autres pays de l’Union européenne flirtent également avec l’idée qu’arrêter Netanyahou ne serait tout simplement pas souhaitable, en adoptant divers arguments peu convaincants. Le ministre italien des Affaires étrangères Antonio Tajani a plutôt raté le coche en  suggérant  que le mandat d’arrêt n’était pas réalisable car le Premier ministre israélien «n’irait jamais dans un pays où il pourrait être arrêté» (Son collègue, le ministre de la Défense Guido Crosetto, n’était pas d’accord.) Face à cette lecture confuse de la justice internationale, Tajani a poursuivi en déclarant qu’arrêter Netanyahou était «irréalisable, du moins tant qu’il sera Premier ministre». Une lecture plus attentive du Statut de Rome aurait dissipé les doutes de Tajani.
La question de l’exécution des mandats d’arrêt contre les hauts dirigeants et commandants accusés de violer le droit international humanitaire relève parfois d’un calcul politique minable au détriment du respect scrupuleux de la loi. La France n’a fait que confirmer cet état de fait, après les démarches précédentes de la Mongolie (à l’égard de Poutine) et de l’Afrique du Sud (à l’égard d’Omar el-Béchir). Ayant été l’un des principaux négociateurs du fragile cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah, entamé le 27 novembre, Emmanuel Macron et son équipe diplomatique ne manqueront pas de répondre à l’appel de la postérité. Comme le promet le communiqué du ministère, «la France entend continuer à travailler en étroite collaboration avec le Premier ministre Netanyahou et les autres autorités israéliennes pour parvenir à la paix et à la sécurité au Moyen-Orient».
Binoy Kampmark a été boursier du Commonwealth au Selwyn College de Cambridge. Il enseigne à l'université RMIT de Melbourne. E-mail: bkampmark@gmail.com
URL de l'article en anglais: 
https://www.counterpunch.org/2024/12/02/gallic-stubbornness-france-netanyahu-and-the-icc-arrest-warrants/

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