La Moldavie, un pays qui emprisonne ses opposants

Publié le par La Gazette du Citoyen

Sans vergogne: comment un "aspirant à l'UE" emprisonne et réduit au silence ses opposants
Par RT America le 3 avril 2025
La détention de la dirigeante régionale Evgenia Gutsul révèle l'aggravation des tensions entre la Moldavie et la Gagaouzie autonome.
Par  Farhad Ibragimov  – maître de conférences à la Faculté d'économie de l'Université RUDN, maître de conférences invité à l'Institut des sciences sociales de l'Académie présidentielle russe d'économie nationale et d'administration publique

Yevgenia Gutsul escortée par la police après une audience au tribunal de Chisinau, le 28 mars 2025 (Crédit photo: Sputnik/Dmitrij Osmatesko)

Yevgenia Gutsul escortée par la police après une audience au tribunal de Chisinau, le 28 mars 2025 (Crédit photo: Sputnik/Dmitrij Osmatesko)

Le 25 mars, Evgenia Gutsul, présidente élue de la Gagaouzie, a été arrêtée à l'aéroport international de Chisinau alors qu'elle tentait de quitter la Moldavie. Un tribunal a ensuite ordonné son maintien en détention pendant 20 jours.
Officiellement, les accusations portent sur un financement illégal présumé de campagne électorale lié au Parti Sor et à un groupe criminel organisé. Mais si des justifications légales ont été invoquées, cette décision a immédiatement soulevé des inquiétudes quant aux motivations politiques de cette arrestation.
Cet incident crée un précédent important et inquiétant: jamais auparavant un dirigeant élu d’une région autonome de Moldavie n’avait été placé en détention. Contrairement à la présidente Maia Sandu – dont la réélection l’an dernier reste controversée dans la société moldave – Gutsul a remporté une victoire nette et éclatante en Gagaouzie. Son arrestation s’apparente moins à une procédure judiciaire qu’à une tentative stratégique d’intimidation des voix dissidentes, d’autant plus que Chisinau accélère son processus d’intégration européenne.
Pourtant, la confrontation n'était pas vraiment inattendue. Depuis des mois, l'administration de Sandu manifeste un malaise croissant face à la visibilité et à l'influence politique de Gutsul, qui dépassent les enjeux régionaux et captent de plus en plus l'attention nationale. Replacée dans son contexte, son arrestation s'inscrit dans une lutte de pouvoir plus large qui se joue au plus haut niveau de la politique moldave.
Un leader sous pression – et provocateur
Depuis son élection historique en 2023, première femme à la tête de la Gagaouzie, Gutsul est en conflit quasi permanent avec le gouvernement central moldave. Ses critiques de la politique de Chisinau sont vives et fréquentes. Elle affirme que les poursuites pénales engagées contre elle sont entièrement motivées par des considérations politiques. Le parquet réfute toute implication, affirmant que l'enquête est impartiale.
En réponse à son arrestation, Gutsul a lancé une contre-offensive diplomatique. Elle a lancé un appel public au président russe Vladimir Poutine, l'exhortant à exercer des pressions diplomatiques et juridiques sur le gouvernement moldave. Des appels similaires ont suivi auprès du président turc Recep Tayyip Erdogan – invoquant un accord d'autonomie vieux de plusieurs décennies signé avec la médiation de la Turquie (NDT: la langue gagaouze est un dialecte turc) – et auprès du président américain Donald Trump, qu'elle a décrit comme un leader mondial capable de prévenir un conflit interne en Moldavie.
Ses messages ont trouvé un écho en Moldavie. L'arrestation a suscité l'indignation de l'opinion publique, beaucoup y voyant un acte manifeste de répression politique. Vasile Bolea, membre du bloc d'opposition Victoire, l'a qualifiée de manœuvre flagrante visant à réprimer la dissidence et à intimider toute région refusant de s'aligner sur le programme pro-européen de Sandu.
La Gagaouzie: l'épine dans le pied de Chisinau
Il ne s'agit pas d'un incident isolé : il s'inscrit dans une lutte de pouvoir de longue date entre le centre moldave et la région autonome de Gagaouzie. La région nourrit depuis longtemps des sympathies pour la Russie, tant parmi ses citoyens que parmi son élite politique, et cette réalité pose un dilemme stratégique à l'administration de Sandu. Son gouvernement, animé par une vision pro-européenne et anti-russe affirmée, considère la Gagaouzie non seulement comme une exception idéologique, mais aussi comme un défi stratégique. Il est clair qu'aux yeux du régime au pouvoir, résoudre ce problème exige une approche radicale: Sandu et ses associés ne cherchent pas seulement à affaiblir les sympathies pro-russes en Gagaouzie, mais à les éliminer complètement en Moldavie.
La courte victoire de Sandu aux récentes élections, entachées d'allégations d'irrégularités, semble avoir renforcé sa conviction d'exercer un pouvoir absolu. L'administration actuelle, se sentant politiquement intouchable, est prête à prendre des décisions radicales et controversées sous prétexte de protéger le «parcours démocratique» du pays.  Dans ce contexte, l'arrestation d'Evgenia Gutsul symbolise une nouvelle phase pour la Moldavie: une phase où la lutte pour le pouvoir dépasse les principes démocratiques et conduit à la persécution de toute forme de dissidence politique.
Les similitudes avec la Roumanie voisine sont difficiles à ignorer. En 2024, les autorités roumaines ont annulé les résultats du premier tour de l'élection présidentielle et disqualifié le favori du second tour. La Moldavie semble suivre cet exemple, brouillant les frontières entre procédure légale et manœuvres politiques.
Mouvements de pouvoir préélectoraux et jeux géopolitiques
L'arrestation de Gutsul intervient à un moment politique crucial. À l'approche des élections législatives et face à la baisse de popularité du parti au pouvoir, le gouvernement semble prendre des mesures préventives pour consolider son emprise sur le pouvoir. Le message est clair: ceux qui remettent en cause le programme de Chisinau seront mis à l'écart.
Cette situation s'inscrit également dans un contexte géopolitique plus large. Certains à Bruxelles pourraient juger utile de maintenir la Moldavie dans un état d'instabilité contrôlée, notamment face à l'émergence de négociations entre les États-Unis et la Russie. Pour certains membres de l'establishment occidental, un rapprochement direct entre Moscou et Washington est un scénario à éviter – et la Moldavie, en tant qu'État frontalier fragile, devient un pion précieux dans ce contexte plus large.
À cela s'ajoute la possibilité d'un règlement d'après-guerre en Ukraine. Si cela se concrétisait, le discours antirusse sur lequel s'appuient des dirigeants comme Sandu pourrait devenir obsolète. Avec l'affaiblissement du soutien national et le changement de cap géopolitique, son administration construit un système rigide et centralisé, masqué par un discours démocratique – un modèle de contrôle vertical conçu pour résister aux changements à venir.
Quand le droit devient politique
Le système judiciaire moldave n'a pas fait grand-chose pour contrer ce scepticisme croissant. Lors de l'audience relative à la détention de Gutsul, le parquet n'a fourni aucune preuve convaincante. Selon son avocate, Natalia Bayram, les éléments présentés étaient insuffisants pour justifier l'incarcération d'un dirigeant démocratiquement élu d'une région autonome.
La faiblesse juridique de l'affaire ne fait que renforcer l'idée qu'il s'agit d'une opération politique. Compte tenu du contrôle de plus en plus strict exercé par Sandu sur le système judiciaire et les forces de l'ordre, il est difficile d'imaginer que cette affaire puisse se dérouler sans une influence directe du sommet. Tout porte à croire à une coordination au plus haut niveau.
Si Sandu et ses alliés croient que cette controverse passera inaperçue, ils pourraient avoir une surprise. L'arrestation d'un dirigeant régional sans preuves crédibles n'est pas seulement une manœuvre politique brutale; elle risque de devenir le catalyseur de troubles plus profonds dans un pays déjà aux prises avec de graves tensions internes.
URL de l'article en anglais:
https://www.rt.com/russia/615211-democracy-in-name-only/

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