Y a-t-il trop d'Africains?

Publié le

Par Stephen Corry pour Counterpunch le 11 juillet 2019

David Attenborough impute la famine en Ethiopie à la surpopulation. Il a déclaré: "Lorsque vous parlez de la surpopulation mondiale, vous parlez de l’Afrique et de l’Asie". (Crédit Photo: John Cairns/Creative Commons)

David Attenborough impute la famine en Ethiopie à la surpopulation. Il a déclaré: "Lorsque vous parlez de la surpopulation mondiale, vous parlez de l’Afrique et de l’Asie". (Crédit Photo: John Cairns/Creative Commons)

«Pourquoi toutes ces famines en Ethiopie? De quoi parle-t-on? Il y a beaucoup trop de gens pour trop peu de terres. Voilà ce dont il s’agit.» - Sir David Attenborough [1]

Le discours sur le surpeuplement du monde remonte à plus de 200 ans, alors que peut-être un milliard de personnes se trouvaient sur la planète. Il y en a maintenant près de huit fois plus et il est devenu normal de les blâmer – c’est à dire nous - pour les maux qui menacent la "nature". Nous sommes trop nombreux et nous utilisons trop de ressources mondiales. Mais dans quelle mesure est-ce vrai? Et que peut-on y faire?

Pour répondre à ces questions d’une façon sensée, il faut faire appel à différents chiffres.

Le premier est évidemment le nombre de personnes vivant dans une région donnée. Il est évident que ce nombre varie à chaque minute, en fonction des naissances et du décès des personnes âgées. Le deuxième facteur important est donc le taux de croissance de la population. C’est la base de toutes les prévisions. Si l’on examine seulement ces deux chiffres, on peut être surpris : la population mondiale augmente certes, mais le taux de croissance démographique a effectivement diminué depuis les années 1970. Et le taux de fécondité a également diminué. Dans les pays du Nord, en gros les pays les plus riches (appelons-les le "Nord" en abrégé), ce taux est désormais inférieur au "niveau de remplacement" [2], c’est à dire dans presque la moitié des pays du monde [3]. Si cette moitié était séparée du reste du monde, la population serait en diminution. Ce qui leur causerait des problèmes assez rapidement car il n’y aurait plus assez de travailleurs pour s’occuper de ceux qui ne sont pas capables de se prendre en charge, mais laissons cela de côté.

Ce n’est pas ce qui se passe, en fait, car la population globale du Nord ne diminue pas, elle augmente, bien que lentement (à un taux de 0,7% en Amérique du Nord et de 0,2% dans l’UE) [4]. C’est parce que les gens arrivent du Sud (le "Sud"), les pays les plus pauvres [5]. Il s’avère donc que le Nord n’a pas, en lui-même, plus de problèmes de surpopulation qu’il n’en a connus ces dernières générations. En revanche les taux de croissance de la population dans le Sud sont plus élevés que dans le Nord et supérieurs aux niveaux de remplacement. La population globale y est en croissance, donc s'il y a vraiment un problème de surpopulation, nous devons le rechercher dans le Sud, ce que veulent dire la plupart des environnementalistes quand ils accusent la "surpopulation".

Prenons un autre facteur, la densité de population, c’est à dire le nombre de personnes au km2. En Afrique sub-saharienne, par exemple, (l'Afrique est la région où la fécondité est la plus élevée) [6], le taux de croissance démographique est élevé (2,7%) [7] mais la densité de population est très faible. En fait, sur chaque km2, il y a un demi-million d'habitants en Afrique, contre plus de quatre millions en Angleterre [8]. L'Afrique n'a donc pas le problème de surpopulation que connaît l'Angleterre. De toute évidence, cependant, si sa population continue de croître au même rythme qu’aujourd’hui, il y aura surpopulation dans le futur, et il est déjà évident, pour ceux qui y ont vécu, que la surpopulation dans les grandes villes africaines est choquante.

Pourquoi le taux de croissance démographique est-il très faible dans le Nord mais élevé dans le Sud? Il y a à cela probablement plusieurs raisons, mais une chose semble en général se vérifier: le taux baisse lorsque le niveau de vie augmente. Certes, les gens ont des enfants pour de multiples raisons, mais on peut dégager certains principes de base. Les personnes dont le niveau de vie est élevé se sentent généralement plus en sécurité et dépendent donc moins de la famille nombreuse pour s’occuper d’eux dans leur vieillesse ou en cas de handicap; de plus leurs enfants ont moins de chance de mourir en bas âge. Quelles qu’en soient les raisons - incidemment, l’idée selon laquelle les femmes africaines ne savent pas encore comment limiter la fécondité est plutôt stupide et même raciste [9] - les personnes aisées ont en moyenne moins d’enfants que les pauvres. Donc, s’il est vrai que la population de l’Afrique subsaharienne augmente rapidement, c’est dans une région du monde beaucoup moins peuplée que le Nord dans son ensemble.

Introduisons un autre facteur, la consommation des personnes. C’est un point crucial car la population ne devient un problème que si elle est trop importante pour ce qu’un territoire peut fournir sans détruire son environnement. La "consommation" ce n’est évidemment pas seulement ce que les gens mangent ; le plus important est sans doute la quantité d'énergie nécessaire pour produire leur nourriture, leur logement, leurs transports et tout ce qu'ils consomment. Ce n’est pas simple. Pour prendre un exemple simple, quelqu'un peut conduire une voiture ancienne et inefficace qui utilise beaucoup de carburant polluant, mais s'il la conserve pendant des décennies et ne voyage jamais très loin, il utilisera sans doute moins d'énergie et produira moins de pollution qu'une voiture électrique qui est fréquemment échangée pour un modèle plus récent. Il faut autant d’énergie pour fabriquer une nouvelle voiture que pour utiliser une ancienne voiture pendant plusieurs années, et l’énergie nécessaire pour les propulser est très largement la même, que le carburant provienne d’un réservoir embarqué ou d’une borne de recharge électrique. Bien sûr, il existe des milliers de variables, mais le point fondamental est que plus les gens consomment, plus ils ont d'impact sur l'environnement. Il n’existe aucun moyen de mesurer cela, mais pour en avoir une idée, nous pouvons nous tourner vers la mesure commune de la richesse, le produit intérieur brut (PIB) [10]. Pour le dire simplement, les habitants des pays dont le PIB est élevé risquent, en règle générale, de consommer comparativement plus que ceux dont le PIB est faible.

Pour en revenir à notre exemple de l’Afrique subsaharienne, nous constatons que le PIB de l’Américain moyen est environ quarante fois supérieur à celui d’un Africain moyen [11]. La population de l’Afrique croît rapidement, c’est vrai, mais elle est peu peuplée et sa consommation par habitant est extrêmement faible. Quelles que soient leurs aspirations, de nombreuses personnes n'y prennent jamais l'avion, n’utilisent pas de voiture privée, ne se procurent pas une nouvelle machine à laver ou une télévision tous les deux ans, ne consomment pas beaucoup d'électricité ou de combustibles fossiles et ont tendance à ne pas jeter de grandes quantités de nourriture chaque jour.

Il faut donc en conclure que si la surpopulation est un problème, car elle pèse sur les ressources du monde, le premier et le plus efficace moyen de le résoudre n'est pas du tout en Afrique, mais doit être de réduire la consommation dans le Nord, qui utilise actuellement beaucoup plus que sa part des ressources. Deuxièmement, si les taux de croissance de la population continuent de baisser lorsque le niveau de vie augmente, le moyen le plus simple d'y remédier en Afrique serait probablement de mettre fin à la fuite massive des ressources du continent et de s’assurer qu’une plus grande partie de ses vastes richesses naturelles reste en Afrique et profite équitablement à leurs propriétaires naturels.

En d’autres termes, pour lutter contre la "surpopulation", les pays les plus riches doivent faire deux choses: consommer moins et cesser de voler les ressources de l’Afrique. Ceci implique moins de ressources pour le Nord, et bien sûr, c’est là le vrai obstacle. Cela signifie qu'une solution à la surpopulation et à la surexploitation des ressources rares ne consiste en rien à réduire le nombre d'Africains, mais simplement à créer des conditions de concurrence plus équitables entre eux et ceux d'entre nous, au Nord, qui exploitons et consommons leurs richesses. Mais comme la préoccupation pour l’environnement, et les inquiétudes face à la surpopulation proviennent principalement du même endroit, c’est à dire des pays les plus riches, il sera toujours plus facile et plus acceptable de blâmer le trop grand nombre d’Africains pauvres et de fermer les yeux sur le principal coupable. Le fait que celui qui est blâmé soit en général de race noire et que celui qui blâme soit principalement de race blanche ne devrait pas échapper à l'attention!

Et les famines en Ethiopie évoquées par Attenborough? En fait, elles existent depuis des siècles, alors que le pays comptait beaucoup moins d'habitants. Les plus médiatisées dans les années 1980 – à l’origine de la chanson provocante et inepte: "Savent-ils que c’est Noël ?" – ont été causées en grande partie par des politiques gouvernementales indignes, le vol des terres et des ressources, et la guerre. [12] En 1984, la BBC a décrit la famine comme étant "biblique", ce qui aurait dû faire réfléchir Attenborough et d’autres.

Pouvons-nous arrêter de blâmer la surpopulation à trop d'Africains?

Notes

1. Tran, Mark. «David Attenborough : essayer de s’attaquer à la famine avec des sacs de farine est "cinglé".»  The Guardian

https://www.theguardian.com/global-development/2013/sep/18/david-attenborough-famine-population (consulté le 8 juillet 2019). ↑

2. Murray, Christopher JL, Charlton SKH Callender, Xie Rachel Kulikoff, Vinay Srinivasan, Degu Abate, Kalkidan Hassen Abate, Solomon M. Abay et al. Population et fécondité par âge et par sexe dans 195 pays et territoires, 1950-2017 : une analyse systématique pour le global Burden of Disease Study 2017, The Lancet 392, no. 10159 (2018): 1995-2051. ↑

3. Les Nations Unies. “World Fertility Patterns 2015 Data Booklet”.

https://www.un.org/en/development/desa/population/publications/pdf/fertility/world-fertility-patterns-2015.pdf (consulté le 8 juillet 2019). ↑

4. La Banque mondiale. La croissance démographique (% annuel). 2018.

https://data.worldbank.org/indicator/SP.POP.GROW?locations=EU-ZG-US-AU-CA-NZ&name_desc=false (consulté le 4 juillet 2019)

5. Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies. Migration et évolution de la population - facteurs et impacts. Données sur la population, no 2017/8 (2017). ↑

6. Les Nations Unies. “World Fertility Patterns 2015 Data Booklet”.

https://www.un.org/en/development/desa/population/publications/pdf/fertility/world-fertility-patterns-2015.pdf (consulté le 8 juillet 2019). ↑

7. La Banque mondiale. La croissance démographique (% annuel). 2018.

https://data.worldbank.org/indicator/SP.POP.GROW?locations=EU-ZG-US-AU-CA-NZ&name_desc=false (consulté le 4 juillet 2019) ↑

8. « La densité de population en Afrique subsaharienne est de 50,762 habitants au kilomètre carré, d'après les données de la Banque mondiale. » Densité de population (habitants par km2 de superficie). 2018. https://data.worldbank.org/indicator/EN.POP.DNST?locations=GB-US-ZG (Consulté le 4 juillet 2019)

La densité de population en Angleterre a été calculée en utilisant la population de 2018 divisée par la superficie de l'Angleterre. Les données pour ce calcul proviennent de : "Office for National Statistics", Estimations de la population pour le Royaume-Uni, l'Angleterre et le pays de Galles, l'Écosse et l'Irlande du Nord: mi-2018. https://www.ons.gov.uk/peopleoplepopulationandcommunity/populationandmigration/populationestimates/bulletins/annualmidyearpopulationestimates/mid2018 (consulté le 4 juillet 2019) et

Atlas du monde. “Angleterre Géographie, Statistiques de”. 2019. https://www.worldatlas.com/webimage/countrys/europe/england/ukelandst.htm (Consulté le 4 juillet 2019) ↑

9. Par exemple, Emmanuel Macron a déclaré dans un discours: «Veuillez me présenter la dame qui a décidé, étant parfaitement instruite, d'avoir sept, huit, neuf enfants».

South China Morning Post. «Les mères de famille protestent contre le président français Macron pour avoir suggéré qu'aucune femme instruite ne veut vraiment sept enfants», 19 octobre 2018. https://www.scmp.com/news/world/europe/article/2169231/mothers-school-french-president- macron-suggérant-non instruit (Consulté le 4 juillet 2019). ↑

10. Chappelow, Jim. Le produit Intérieur Brut - PIB. Investopedia.com.

https://www.investopedia.com/terms/g/gdp.asp (Consulté le 8 juillet 2019) ↑

11. Sur la base du PIB par habitant aux États-Unis et en Afrique subsaharienne:

Banque mondiale : PIB par habitant (dollars américains). Washington DC. https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.PCAP.CD?locations=US-ZG (consulté le 11 juin 2018). ↑

12. De Waal, Alexander. Mauvais temps: trente ans de guerre et de famine en Éthiopie. Vol. 3169, no. 69. Human Rights Watch, 1991. ↑

Stephen Corry travaille depuis 1972 avec Survival International, le mouvement mondial pour les droits des peuples tribaux. Cet organisme à but non lucratif dispose d’un bureau à San Francisco. On peut se joindre à sa campagne publique pour améliorer la préservation sur www.survivalinternational.org/conservation. Ceci est l'un d'une série d'articles sur le problème.

Lien de l’article en anglais:

https://www.counterpunch.org/2019/07/11/too-many-africans/

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