200ème anniversaire du massacre de Peterloo en Grande Bretagne

Publié le

La terrible histoire­ de Peterloo

Par Socialist Worker le 30 octobre 2018

Au moment où le réalisateur Mike Leigh réalise un film sur l’histoire du massacre de Peterloo, Simon Basketter affirme que ces événements mettent en évidence la façon dont la classe dirigeante réagit lorsque sa position est menacée.

Le massacre de Peterloo

Le massacre de Peterloo

Des jours durant, la population prépara ses banderoles, répéta des cantiques et défila au son de la fanfare. C’était en été, en 1819, le Lancashire était plein d’excitation.

A l’occasion d’une campagne en faveur d’une réforme parlementaire, une réunion de masse avait été organisée à St Peter’s Field dans la ville de Manchester, réunion au cours de laquelle certains des plus importants orateurs radicaux de l’époque devaient s’adresser à la population.

Le lundi 16 août, 60,000 hommes, femmes et enfants étaient réunis sur le lieu de l’intervention.

Lorsque Henry Hunt, un orateur radicaliste, monta à la tribune, l’ambiance changea d’un coup. Les édiles locaux, qui observaient la scène au bord du champ, ordonnèrent à l’unité montée de dégager la zone.

Celle-ci chargea, suivie par les hussards à cheval. Les sabres étincelèrent et l'air s’épaissit, au bruit des chevaux au galop et des cris des blessés.

Dix-huit personnes au moins décédèrent des suites de leurs blessures, dont un enfant de deux ans et une femme enceinte. Plus de six cents personnes furent blessées.

En quelques instants, se souvient le radical Samuel Bamford, la plus grande partie de la foule s’était enfuie.

«Mais plusieurs entassements d’êtres humains restaient sur place, là où ils étaient tombés, écrasés et étouffés. Certains d'entre eux gémissaient encore, d'autres avaient les yeux écarquillés, étouffaient, tandis que  d'autres ne respireraient plus jamais.

Tout était silencieux, sauf ces bruits sourds, accompagnés des renâclements occasionnels et du piétinement des chevaux.»

Un cavalier donna un coup de sabre à John Lees. Un autre s'approcha derrière l'ouvrier d'usine de 22 ans et lui entailla le coude droit jusqu’à l’os.

Il fut ensuite sévèrement battu par des hommes armés de matraques. Lees décéda de ses blessures le 7 septembre.

Le major Thomas Dyneley vit la place déserte, et jonchée des victimes du conflit. «En bref, déclara-t-il avec enthousiasme, je n’ai jamais vu un terrain aussi bien nettoyé après une action.»

Une affiche signalant que les exercices militaires relatifs à «la sédition et à la traîtrise» sont illégaux

Une affiche signalant que les exercices militaires relatifs à «la sédition et à la traîtrise» sont illégaux

Lees et Dyneley avaient tous deux combattu à la bataille de Waterloo en 1815 avec le Royal Horse Artillery.

Massacre

Un ami écrivit à Lees: «À Waterloo, on se battait d’homme à homme; à Manchester c'était un massacre purement  et simplement.»

Le major Dyneley nota dans son rapport que «la première action de la bataille de Manchester était terminée et je suis heureux de pouvoir dire qu'elle s'est terminée par la défaite complète de l'ennemi.»

Le jour même, un groupe de gendarmes provoqua les manifestants blessés en criant: «Voilà un Waterloo pour vous! C'est Waterloo.»

Quelques jours plus tard, le Manchester Observer baptisa le massacre du nom de «Peterloo».

Ce massacre eut lieu pendant la grave dépression économique qui suivit deux décennies de guerre. Le gouvernement, effrayé par le spectre de la révolution, craignait que toute réforme ne provoque l’insurrection.

Manchester était une ville, rapporte le journal The Times, où des milliers de fileurs et de tisserands vivaient dans «une misère sordide» et une «dépravation répugnante».

La Grande-Bretagne des années 1810 était hantée par la peur du jacobinisme qui avait renversé la monarchie en France pendant la révolution. A l’époque, seul un homme sur dix - et pas de femme – avait le droit de vote, et de nombreuses villes n’avaient aucun député.

Certains membres de la classe moyenne et ouvrière faisaient pression pour l’instauration de réformes.

Le gouvernement conservateur de Lord Liverpool avait pour première réaction le recours à la répression.

En 1817, un attentat contre la voiture du prince régent avait amené le gouvernement à suspendre le droit de faire appel en cas d’emprisonnement illégal. Il réprima également les réunions «séditieuses».

En réponse, lors d’un rassemblement à Stockport, un orateur déclara qu’il souhaitait avoir une «épée à la main pour couper la tête de tous les tyrans».

Un autre conseilla à la foule de «s’armer car rien ne peut se faire sans une épée à la main - la liberté ou la mort!»

Mais les conspirations insurrectionnelles ont pour la plupart été écrasées grâce à l'infiltration d'espions du gouvernement.

Pétitionner pacifiquement ne produisant aucun effet, les réformateurs partisans d’un changement politique se tournèrent vers la mobilisation de masse.

Demandes

En conséquence, les revendications exigeant des réformes politiques ont commencé à coïncider et à se confondre avec des revendications plus larges.

Henry Hunt a insisté sur le fait que la plupart des demandes des radicaux se concentraient sur l'élection des députés et sur la présentation de projets de loi en vue de réformes modérées.

Mais suite à des divergences sur la tactique à employer entre les partisans des réformes à Londres amenèrent Hunt et d'autres à se tourner vers les provinces et à organiser des meetings de masse pour faire pression.

Un meeting de masse, à Palace Yard, Westminster, en septembre 1818, dénonça le prince régent. Proclamant la souveraineté du peuple, il demanda que les travailleurs obtiennent la part qui leur revenait sur les fruits de leur travail.

Des rassemblements furent organisés dans les Midlands et dans le nord de l'Angleterre durant l'été 1819. Le dernier meeting en province était prévu à Manchester.

Le matin du meeting, les routes menant des villages et des bourgs à Manchester étaient encombrées d'hommes, de femmes et d'enfants vêtus de leurs plus beaux vêtements et portant des décorations de fête.

Une affiche avertit que la réunion à St Peter's Field est interdite

Une affiche avertit que la réunion à St Peter's Field est interdite

Leurs banderoles portaient des inscriptions telles que «Suffrage universel» et «La taxation sans représentation c’est la tyrannie». Sur quelques-unes d’entre elles on pouvait lire: «La liberté ou la mort».

Les organisateurs prirent soin de veiller au maintien de l’ordre. Auparavant, la zone de St Peter’s Fields avait été débarrassée du plus grand nombre possible d’objets pouvant servir d’armes potentielles.

Samuel Bamford avait fait valoir «qu'il ne pouvait y avoir aucun mal à prendre une douzaine ou deux de gourdins, juste pour garder les unités spéciales à une distance respectueuse de notre ligne.»

Mais Hunt demanda aux gens de ne pas apporter d’armes autres que «leur bonne conscience.»

Sans résultat. L’unité de cavalerie Salford Yeomanry, qui attaqua la foule en premier, était composée de volontaires en état d'ébriété recrutés parmi les aubergistes, les tailleurs et les bouchers qui se considéraient comme les gardiens de l'ordre. «Bon Dieu, je vais te réformer», cria l’un d’eux.

Hunt regarda depuis la tribune les gendarmes «charger dans la population, sabrant à droite et à gauche, dans toutes les directions. N'épargnant ni l'âge, ni le sexe, ni le rang.»

Après s’être frayé un chemin à travers la foule, les cavaliers et les forces spéciales s’en prirent rapidement à ceux qui se trouvaient à la tribune. Les femmes eurent droit à un traitement particulièrement brutal. Il avait été recommandé, avant l’événement, de traiter avec un maximum de violence les femmes faisant partie des réformateurs.

Audace

Le New Times déclara: «Nous ne pouvons imaginer que d’autres que des prostituées endurcies et sans scrupules puissent avoir l'audace de se montrer dans de telles campagnes, et pour de tels motifs.»

Le corps de cavalerie des hussards, dirigé par le colonel L’Estrange, se forma en ligne à l’est du terrain et chargea la foule. Il fut rejoint par l’unité Cheshire Yeomanry, lançant l’attaque à partir du sud.

Les gens qui s’enfuyaient, pris au piège entre ces troupes en mouvement, se dirigèrent vers Peter Street, où ils furent bloqués par le 88e régiment d’Infanterie, baïonnette au canon. Il ne fallut que 15 minutes pour nettoyer le terrain.

Peterloo fut une tentative délibérée d’écraser un mouvement émergent. Les organisateurs furent arrêtés et emprisonnés.

Le prince régent écrivit un message, depuis son yacht, pour remercier les édiles de Manchester d’avoir pris «des mesures rapides, décisives et efficaces en vue de préserver la tranquillité publique.»

Après ces événements, de nombreuses manifestations de masse eurent lieu, avec 100,000 participants à Londres et 40,000 à Newcastle. Le gouvernement réagit par six lois adoptées par le Parlement pour écraser le mouvement de réforme.

Et cela marcha, dans une certaine mesure. Peterloo est entré dans l’imagination populaire comme la preuve de la résistance violente de nos dirigeants à la remise en cause de leur système.

De sorte que le premier mouvement uniquement ouvrier, les Chartistes, s'est développé au cours des décennies suivantes en gardant à l'esprit l'expérience de Peterloo. Des pans importants du mouvement se radicalisèrent d’autant plus.

La mémoire du massacre s’est maintenue à travers les histoires des radicaux, et par des chansons et des poèmes.

Le plus célèbre aujourd’hui est le Masque de l’anarchie de Shelley qui, bien qu’il ait été écrit dans les semaines qui ont suivi le massacre, ne fut pas publié avant 1830.

L’un de ses vers est célèbre «Vous êtes nombreux, ils sont peu.» C’est l'un des slogans de la gauche à ce jour.

Le poème n'est pas simplement une reconnaissance de la force de la multitude. C'est un appel aux armes, à la vengeance et à la justice.

Peterloo n'est pas simplement un héritage historique. En tant que moment où la classe ouvrière émergente entre en conflit avec la classe dirigeante, c’est un rappel de l’ampleur des luttes à venir.

Lien de l’article en anglais:

https://socialistworker.co.uk/art/47419/The+brutal+history+of+Peterloo

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