Il y a 50 ans: le coup d’Etat pro-américain au Cambodge qui renversa le prince Sihanouk et mis fin à sa politique de neutralité

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Le 18 mars 1970, profitant d’un voyage du chef de l’Etat cambodgien, le prince Sihanouk, à l’étranger (il effectuait une tournée en Europe, Union soviétique et Chine), le général Lon Nol, associé à Sirik Matak, un cousin du prince et à In Tam, le président de l’assemblé nationale, organise un coup d’Etat pro-américain et décide d’entrainer le Cambodge dans la Guerre du Vietnam aux côtés des Etats-Unis, ceci en complète contradiction avec la politique du prince Sihanouk qui s’était efforcé de maintenir la neutralité du Royaume du Cambodge dans cette guerre qui opposait les Américains aux communistes vietnamiens.

Sihanouk brandissant la constitution du Cambodge. Selon lui le coup d’Etat était anticonstitutionnel.

Sihanouk brandissant la constitution du Cambodge. Selon lui le coup d’Etat était anticonstitutionnel.

Sous le choc, le prince Sihanouk, désormais chef d’Etat en exil, met 5 jours pour réagir. Puis le 23 Mars 1970, le prince lance depuis Pékin un appel général à la résistance contre les putschistes. La Gazette du Citoyen a recopié l’intégralité de la déclaration du prince Sihanouk. La voici, ci-dessous, qui est publiée la toute première fois sur l’internet:

Déclaration solennelle de Samdech Norodom Sihanouk chef de l'Etat du Cambodge (23 Mars 1970)

Norodom Sihanouk

Mission du Front uni national de Kampuchea (FUNK)

Je présente mes plus respectueux hommages à Sa Majesté la Reine, je salue respectueusement le clergé bouddhiste et mes chers compatriotes.

Je vous envoie mes pensées les plus fidèles, constantes et les plus affectueuses.

Un groupuscule de bourgeois et princes réactionnaires, qui avaient pu se hisser aux plus hauts postes grâce au Sangkum Reastr Niyum et à son président et s’octroyer de ce fait des avantages de toutes sortes, non seulement s’est permis de me témoigner leur «reconnaissance» en me «déposant» illégalement, mais encore de me traîner dans la boue, me mettre au ban d’infamie par des calomnies monstrueuses et des accusations abjectes y compris celle de la trahison envers la patrie «au profit de l’étranger».

Mais en égard à ces calomnies et accusations ma peine n’est pas aussi douloureuse qu’en égard au sort actuel très malheureux de notre pays, mis en coupe réglée par le groupe des traitres et renégats, le quel exerce sur la nation une dictature sans frein (après avoir violé et jeté bas la Constitution du Royaume) et qui mène notre pays tout droit vers l’anarchie et la guerre provoquée par l’impérialisme américain, ce pays khmer qui (pendant de longues années et jusqu’à la veille de la crise ouverte par les hommes du coup d’Etat de mars 1970) était encore connu dans le monde comme une oasis de paix et de stabilité.

A l’heure actuelle, la liberté, la démocratie, la relative prospérité, l’unité et l’union nationale dont jouissait naguère encore notre peuple, tout cela est détruit, réduit à néant.

Nos soldats ont reçu l’ordre d’abandonner la défense des frontières et du territoire national pour se retourner contre leurs propres compatriotes et de mater sans pitié tous ceux qui oseraient «bouger le petit doigt» pour s’opposer ne serait-ce qu’en paroles au pouvoir fasciste nouveau qui sert l’impérialisme américain.

Ceci n’est pas une accusation de ma part, mais c’est une évidence perçue par tous les observateurs clairvoyants dans le monde.

La clique de Lon Nol – Sirik Matak – Chéng Héng a proclamé que j’étais un «traître» et que je «vendais» mon pays à l’étranger, parce que d’une part je désirais éviter à notre nation de perdre sa bonne réputation de sagesse et de maturité et d’autre part je voulais éviter à notre Patrie de courir, dans l’avenir, un grand danger en provoquant inconsidérément avec une hostilité exagérée, un Vietnam socialiste que même les USA, la plus riche et la plus grande puissance militaire du monde, n’arrivaient pas à mettre à genoux.

Mon dévouement et mon loyalisme à l’égard de la nation sont devenus, de par le «bon vouloir» de mes ennemis, un crime de haute trahison.

Mais leur «condamnation» ne m’émeut pas outre mesure, car eux-mêmes sont d’authentiques félons, des ambitieux insatiables de pouvoir, de fortune, d’honneurs, et ne sont que des lâches qui n’osent s’attaquer à Sihanouk qu’en son absence et ne savent que le «poignarder» dans le dos.

Ce n’est donc pas cette clique méprisable qui m’impressionnera et me fera reculer dans ma détermination inébranlable de défendre les intérêts supérieurs et à long terme de ma Patrie et sa liberté. 

Des millions de khmers à l’intérieur et des milliers de khmers à l’extérieur ne manqueront pas, très bientôt, de lever l’étendard de la révolte contre la clique réactionnaire de Lon Nol – Sirik Matak – Chéng Héng et contre ses maîtres, les impérialistes américains. Tous les Khmers patriotes écraseront ces traîtres et chasseront de chez nous leurs complices et maîtres U.S. Après la victoire, nos patriotes édifieront un Kampuchea nouveau dont le pouvoir sera et restera pour toujours entre les mains du peuple travailleur et progressiste, laborieux et pur, qui saura assurer à notre Patrie un avenir radieux dans la justice sociale, l’égalité et la fraternité entre tous les Khmers.

***

La trahison, la lâcheté, des calomnies, les attaques abjectes des réactionnaires m’ont ouvert les yeux et m’ont fait douloureusement prendre conscience de mon impardonnable naïveté et de mon aberration qui m’avaient conduit à croire qu’un Etat libre, démocratique, pacifique, prospère et heureux pourrait se faire avec le concours des personnalités tarées, des bourgeois et des princes corrompus, fascistes, réactionnaires du genre de ceux constituant le «Gouvernement» et le «parlement» actuels de Phnom Penh.

Ce «coup dur» qu’ils m’ont fait et me font subir constitue pour moi une très amère mais fort utile leçon que je n’oublierai jamais ma vie durant.

C’est en tenant compte de cette aberration que je devrai offrir ma démission des fonctions de Chef de l’Etat au lendemain de la victoire que ne manquera pas de remporter notre peuple, sur ses ennemis oppresseurs et réactionnaires et leurs maîtres, les impérialistes américains, et donner par la même occasion à notre jeunesse progressiste et à notre peuple travailleur la possibilité d’assumer totalement, avec la coopération de toute la nation khmère, les responsabilités de l’édification et de la défense nationale.

***

Dans les circonstances actuelles ma mission ne peut pas encore trouver son terme, car je ne saurais accepter que les félons réactionnaires puissent continuer impunément de fouler aux pieds les idéaux, les lois et les principes de base de notre Etat, et cela grâce à la puissance des dollars US et à la pointe des baïonnettes.

Et c’est dans cet esprit que je déclare solennellement ce qui suit:

I – En ma qualité de Chef légal de l’Etat du Cambodge, porté à la magistrature suprême par le peuple khmer unanime, je dissous irrévocablement le gouvernement Lon Nol et les deux chambres du Parlement qui ont trahi leurs serments constitutionnels et la Constitution du Royaume.

II – J’invite tous mes compatriotes et tous les étrangers résidant au Cambodge à ne pas reconnaître ni respecter les décrets (Prakas, Kret), les lois (Kram), les ordres, les messages, les circulaires, les jugements, les décisions de tout ordre, les sentences qui sont ou seront «l’œuvre» du groupe Lon Nol – Sirik Matak – Chéng Héng et de leurs complices et serviteurs.

III – Un nouveau Gouvernement d’union nationale sera formé.

Sera également constituée (pour assister le Gouvernement) une Assemblée consultative provisoire dont les membres seront des représentants qualifiés des différents milieux de la société khmère (moines, paysans-agriculteurs, ouvriers et autres travailleurs, commerçants, industriels, militaires, policiers, gardes provinciaux, jeunesse et intellectuels, fonctionnaires, femmes, etc…).

IV – Une armée de Libération nationale sera constituée.

V – S’uniront les Khmers résidant à l’étranger et les Khmers vivant à l’intérieur de notre pays (religieux et laïcs, militaires et civils, hommes et femmes) qu’animent les idéaux d’Indépendance, de Démocratie, de Neutralité, de Progressisme, de Socialisme, de Bouddhisme, de Nationalisme, d’Attachement à l’intégrité territoriale du pays dans ses frontières actuelles, d’anti-impérialisme et anti-néocolonialisme enfin, pour former ensemble un Front Uni dont l’appellation officielle sera «FRONT UNI NATIONAL DU KAMPUCHEA», abréviation: «F.U.N.K.».

La mission essentielle du F.U.N.K. consistera à:

1) Libérer notre Patrie de la dictature et de l’oppression de la clique des réactionnaires pro-impérialiste Lon Nol – Sirik Matak – Chéng Héng.

2) Lutter contre les impérialistes américains qui agressent notre Indochine et oppriment ses peuples, y font germer l’injustice, la guerre, les catastrophes de toutes sortes, l’hostilité et la désunion, les troubles, les crises et les misères chez nos trois peuples Khmer, Vietnamien, et Lao: cette lutte sera menée aux côtés et avec le soutien total des pays, des peuples socialistes, progressistes, anti-impérialistes proches ou lointains.

3) Reconstruire notre pays et le faire avancer le plus rapidement possible dans la voie du progrès au lendemain de notre victoire sur nos ennemis, cette mission de reconstruction devant être accomplie par nous tous, Khmers, dans une camaraderie, une solidarité et une union totale, comme au temps difficile du combat.

***

Norodom Sihanouk réfugié en Chine a reçu le soutien du président Mao Tsé-toung.

Norodom Sihanouk réfugié en Chine a reçu le soutien du président Mao Tsé-toung.

J’ai une intense nostalgie de ma Patrie bien aimée qui est et restera toujours ma seule raison de vivre.

Je pense aussi intensément à ma pauvre mère, à notre clergé bouddhiste et à notre peuple bien aimé.

Si je ne meurs pas au cours de la lutte lancée que notre peuple patriote et progressiste et nous-mêmes allons mener ensemble, j’irai sans faute les saluer et les embrasser lors de la victoire inéluctable sur les impérialistes et leurs laquais.

Dans le cadre de cette lutte, j’invite tous ceux de mes enfants (compatriotes), militaires et civils qui ne peuvent endurer davantage l’injuste oppression des félons et qui ont le courage et le patriotisme voulus pour libérer la Patrie, à prendre le maquis afin de lutter contre nos ennemis.

Si vous êtes armés et possédez déjà la science militaire, je vous ferai parvenir en temps opportun des munitions et de nouvelles armes. Si vous n’avez pas d’armes mais désirez acquérir la science militaire, je prendrai les mesures nécessaires pour que vous soyez guidés vers l’Ecole militaire du Front Uni National de notre Kampuchea, laquelle s’installe assez loin de vos casernes et villages, et ce afin que l’ennemi ne puisse pas l’atteindre ou la repérer.

Ceux d’entre mes enfants (compatriotes) résidant en Europe ou tout autour de l’Europe et qui désirent servir la Patrie et le peuple dans le cadre de l’Armée de Libération ou celui du F.U.N.K., voudront bien se rendre à Moscou ou à Pékin pour m’y rencontrer.

Vive le Cambodge !

NORODOM SIHANOUK   

Scan du document original de la déclaration de Norodom Sihanouk

Scan du document original de la déclaration de Norodom Sihanouk

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