Ex-président Obama: dix raisons d’ironiser

Publié le

Par Paul Street pour Counterpunch le 23 octobre 2020

Barack Obama (Source de la photographie: Jakehonig - CC BY-SA 3.0)

Barack Obama (Source de la photographie: Jakehonig - CC BY-SA 3.0)

Difficile de ne pas savourer l'ironie des nouvelles diffusées au journal télévisé ce jeudi. La présentatrice de MSDNC, Halle Jackson, pouvait à peine contenir sa joie d’apprendre que l'ancien président Barack Obama avait enfin participé ouvertement à la campagne présidentielle, en soutien à Joe Biden, et qu’il avait attaqué nommément Donald Trump.

Je ne sais pas si Obama a vraiment décidé de se lancer dans la campagne. J'ai quelques doutes. Quoi qu’il en soit, il est sans doute trop tard. Plus tôt dans son émission, Jackson a annoncé  que le Comité judiciaire du Sénat venait de recommander la confirmation par le Sénat d’une membre d’une secte chrétienne d'extrême-droite, Amy Coney-Barrett, comme juge à la Cour suprême des États-Unis. La juriste, qui a le titre de handmaid dans la secte (servante, en référence à l’appellation de ‘servante du Seigneur’ de Marie, un grade important pour les femmes dans la secte), sera élue demain membre à vie de la haute Cour par le Sénat majoritairement républicain.

Donald Trump et ses alliés ont réussi à faire nommer Coney-Barrett à une vitesse record, afin qu'elle puisse voter, sachant que son vote sera décisif, lorsque la Cour aura à se prononcer sur la contestation finale de Trump contre la probable victoire de Biden au Collège électoral, en début de l'année prochaine. Cinq des neuf électeurs voteront pour Donald Trump lors de l'élection présidentielle de 2020-2021: Clarence Thomas, Sam Alito, Neal Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney-Barrett.

Tous saluent la grande démocratie américaine.

En octobre 2016, Obama qualifiait en privé Trump de ‘fasciste’: et c’est bien en tant que tels que le président titulaire, le vice-président et le procureur général ont clairement montré leur intention d’utiliser tous les moyens constitutionnels et extra-constitutionnels pour fausser et truquer l’élection. Ces moyens comprennent l’élimination d’électeurs sur des bases racistes et partisanes dans les États-clés, de même que l'envoi de ‘scrutateurs’ armés dans les circonscriptions où vivent des minorités; la mise en cause de la légitimité des bulletins de vote par correspondance qui se sont multipliés à cause de la pandémie que Trump lui-même a laissé se propager à travers le pays; le déploiement d’une armée d'avocats de droite chargés de contester les résultats du Collège électoral dans les États qui opteront pour Biden; la nomination à l’arraché d’un candidat d'extrême-droite à la Cour suprême (Coney-Barrett) qui pourra ainsi, avec 4 ou 5 autres juges nommés par les Républicains, contresigner la contestation à la fois constitutionnelle et extra-constitutionnelle de l’élection; le fait d’inciter des supporters violents à réprimer les manifestations anti-coup d'État; le fait de se préparer à déclarer la loi martiale et à mettre dans la rue les forces paramilitaires (du Département de la Sécurité intérieure, en particulier l'ICE et les Patrouille des Frontières) qui ne doivent rendre des comptes qu'à Trump.

Comme l'a récemment observé Chauncey de Vega, du website Salon: «Donald Trump continue d’affirmer clairement qu’il n’a pas l’intention de quitter ses fonctions pacifiquement s’il est vaincu… Trump considère que toute élection dont il n’est pas le ‘gagnant’ est nulle et non avenue. La nomination par Trump d'Amy Coney Barrett à la Cour suprême des États-Unis est une manœuvre évidente pour garantir sa ‘réélection’, au cas où ses avocats et autres agents réussiraient à saboter suffisamment le vote le jour du scrutin et au-delà... Au cours de son débat avec Biden, Trump (...) a ordonné aux paramilitaires suprémacistes blancs d’être prêts à faire face à ses ‘ennemis’ et aux leurs, s'il perd le jour du scrutin ou s'il est autrement démis de ses fonctions... Trump veut également que Joe Biden et d'autres Démocrates de premier plan soient emprisonnés et peut-être même exécutés parce qu'il les juge coupables de ‘trahison’ et d’une tentative de ‘coup d'État’ contre lui. Trump et son procureur général William Barr ont aussi menacé d'utiliser l'armée américaine contre le peuple américain si certains osaient protester contre le résultat des élections de 2020, au cas où Trump aurait trouvé, d'une manière ou d'une autre, un moyen extra-légal (voire carrément illégal) de rester au pouvoir.»

Eh bien oui, Obama : vous aviez raison à propos de Trump, il y a quatre ans. Il est un peu tard et quelque peu ‘weimarien’ d’entrer sur le ring contre le ‘fasciste’ aujourd’hui seulement.

Réfléchissant à l’ironie de cette information, j'ai réalisé que mon nouveau livre Hollow Resistance: Trump, Obama, and the Politics of Apeasement (CounterPunch Books, octobre 2020) est, entre autres, une étude sur le caractère ironique de certains aspects de la vie de l'ex-président et président Obama. Neuf points, pour être exact (en plus de celui qui vient d'être mentionné):

1. Une popularité engendrée par le monstre qu'il a lui-même aidé à faire naître.

La grande popularité de l'ex-président Obama est largement motivée par l'horreur dystopique quasi inimaginable du Trumpenstein, qu'Obama a contribué à créer et à amener au pouvoir, à la manière de Weimar. Quelle ironie: l’image d’Obama est redorée par le monstre qu’il a beaucoup aidé à faire éclore. Pour en savoir plus sur comment et pourquoi la présidence insipide et néolibérale d'Obama (cohérente avec l’insipide pré-présidence néolibérale) a donné lieu au cauchemar de Trump, voir les points 4, 5 et 7 ci-dessous.

2. «L'Amérique [les Américains] d'abord»

Obama a déclaré à Tim Kaine en octobre 2016 que la campagne d'Hillary Clinton avait pour objectif d’«empêcher un fasciste d'entrer à la Maison Blanche». Le 44e Président des États-Unis avait une compréhension précise1 de Trump en tant que menace existentielle maligne, autoritaire et d'extrême droite pour la République et pour le monde. Moins d’un mois plus tard, Obama, c’est à la fois ironique et pervers, disait au peuple américain, après que Trump eut vaincu sa triste candidate arrosée des dollars de Goldman Sachs et du Conseil pour les Relations extérieures: «Aujourd’hui, tout le monde est triste quand son camp perd une élection. Mais demain nous devons nous rappeler que nous sommes en fait tous membres d’une seule équipe. C'est une mêlée intra-muros. Nous ne sommes pas d’abord des Démocrates. Nous ne sommes pas d’abord des Républicains. Nous sommes d'abord Américains. Nous sommes d'abord des patriotes. Nous voulons tous ce qu'il y a de mieux pour ce pays… nous allons tous de l'avant, avec une présomption de bonne foi en nos concitoyens, ce qui est essentiel à une démocratie vivante et fonctionnant bien… Je suis convaincu que cet incroyable voyage que nous faisons en tant qu’Américains se poursuivra… Je pense à ce travail comme étant une course de relais - vous prenez le relais, vous courez votre meilleure course, en espérant qu'au moment où vous le transmettez, vous avez un peu avancé, vous avez fait un peu de progrès... en fin de compte, nous sommes tous membres d’une même même équipe.»

Les trois dernières années et dix derniers mois ont montré sans l'ombre d'un doute que l'évaluation d'Obama, formulée en privé il y a quatre ans, était correcte. L'administration Trump a été un cauchemar proto-fasciste. Après la séparation des enfants à la frontière, les camps de concentration, les enfants mis en cage, Charlottesville, les stérilisations forcées d'immigrants détenus, le pardon accordé à des criminels de guerre racistes, le massacre d'El Paso, le massacre dans la synagogue ‘l'Arbre de la vie’, Soleimani, les appels à la guerre civile et aux durs, les mauvaises blagues sur le fait d'être ‘président à vie’, la folie génocidaire et raciste attisant le coronavirus, ‘Libérez le Michigan’, la vivisection de Khashoggi, le plaidoyer de Dershowitz, Lafayette Square, Trump appelant les manifestants de Black Lives Matter des ‘terroristes’ et des ‘fabricants de haine’, Portland, le tweet partagé sur le ‘pouvoir blanc’, Kenosha, le ‘Tenez-vous prêts!’, le qualificatif de ‘communiste’ appliqué à Kamala Harris, le complot fasciste déclenché et approuvé par le Président pour kidnapper le gouverneur du Michigan, le coup d'État que Trump et son procureur général personnel préparent et mettent en place contre les élections de 2020, et bien plus encore (la liste s'allonge encore et encore2), il est absurde et embarrassant (en fait honteux) de nier le proto-fascisme malfaisant de Trump et de beaucoup de ses supporters3. Obama n'a naturellement jamais rendu publique son opinion de Trump exprimée en privé et bien trop exacte.

3. Est-ce déjà ‘l'Apocalypse’?

Consultez les déclarations d'Obama au personnel le plus jeune de la Maison Blanche et au rédacteur en chef du New Yorker David Remnick, après la victoire de Trump: «Ce n'est pas l'apocalypse… Je ne crois pas à l'apocalyptique - jusqu'à ce que l'apocalypse arrive. Je pense que rien n'est la fin du monde avant la fin du monde.»

Eh bien oui, Barry: avec plus de 220 000 morts du virus Trump; avec un nombre de morts qui avoisinera le demi-million en janvier prochain; avec les dizaines de millions sans emploi qui n’ont pas accès aux soins de santé ; avec la nomination d’une juriste chrétienne fasciste, Amy Coney-Barrett, à la Cour suprême des Etats-Unis, assurant une majorité de 6 voix sur 3 à l’extrême-droite; avec de longues files de gens masqués et apeurés devant les magasins d’alimentation, les stands de testing et les bureaux de vote; avec l’abrogation des régulations concernant les armes nucléaires et les normes environnementales; avec les expulsions de masse prévues; avec le refus de prévoir un soutien financier pour les personnes sans emploi; avec une remise en question à la baisse de l’Affordable Care Act, votre propre loi néolibérale pour les entreprises; avec ces petits hommes en vert de la milice de Trump tirant dans la rue sur des manifestants des droits civiques; et avec les préparations en vue d’un coup d'État par l'administration Trump contre la ‘démocratie électorale’ certes imparfaite de la nation… Eh bien, Obama, est-ce déjà ‘l'apocalypse’? Qu’en dites-vous, 44e? Et n'est-il pas un peu tardif de ne «croire en l'apocalyptique» que lorsque «l'apocalypse» arrive? Ne devrions-nous pas essayer d’éviter l'apocalypse avant qu'elle n'arrive?

4. «Il ne faut pas beaucoup de courage pour aider ceux qui sont déjà nantis.»

Moins de cinq mois après avoir «passé le relais» de la «démocratie» à un oligarque sous-humain, cinglé et archi-autoritaire (un «animal sauvage vraiment sauvage» selon les mots de David Cay Johnstone, l'un des distingués biographes de Trump), qu’il savait (en privé) être un ‘fasciste’, Obama a reçu le prix Profiles in Courage de la John F. Kennedy Library Foundation à Boston. «Nous vivons, a déclaré Obama dans son discours de remerciement à la Bibliothèque Kennedy, une époque de grand cynisme à propos de nos institutions… un  cynisme qui est d’autant plus corrosif lorsqu’il affecte notre système d’auto-gouvernement, lorsqu’il brouille notre avancée parfois chaotique et provisoire vers le progrès, lorsqu’il empêche nos enfants d’imaginer, malgré les activités bruyantes et souvent triviales de nos politiciens, la possibilité pour la démocratie d’accomplir de grandes choses… En réalité, ajouta Obama, cela ne demande pas beaucoup de courage d’aider ceux qui sont déjà puissants, déjà nantis, déjà influents.»

Personne dans la foule en smoking et en robe de soirée ne s'est levé pour dire à ‘Wall Street Barry’ que les États-Unis n'avaient pas de «système d'auto-gouvernement», pas de véritable «démocratie fonctionnelle» à proprement parler. Personne ne s'est levé pour observer, comme les politologues du grand public Martine Gilens et Benjamin Page l'avaient démontré au bout de six ans de la présidence d'Obama, que la nation était depuis des décennies «une oligarchie» où les «élites» riches et leurs entreprises «gouvernent» et que «les citoyens ordinaires n’ont pratiquement aucune influence sur ce que fait leur gouvernement». Personne ne s'est levé pour faire observer que, sous la présidence de ‘Wall Street Barry’ Obama, Citigroup s'était consacrée à servir et à remplir les poches de «ceux qui [étaient] déjà puissants, déjà influents». Ou que sa servilité vis à vis des riches et des puissants a nourri le cynisme même qu'il prétendait dénoncer, contribuant ainsi à ouvrir la voie à Trump.

5. «Il faut cultiver le jardin de la démocratie»

En décembre 2017, Obama a prononcé son premier discours public majeur depuis l'élection de Trump au très chic Economic Club de Chicago - un cadre approprié, étant donné que son ascension politique avait dépendu de ses liens avec la riche élite de Chicago. «Vous devez, a déclaré Obama à son public d’hommes d’affaires nantis, lors d'une séance de questions-réponses après la conférence, cultiver le jardin de la démocratie. Sinon, a averti Obama, les choses peuvent se déliter assez rapidement.» Par «se déliter assez rapidement», Obama voulait dire qu’il était possible que le pays sombre dans l'autoritarisme et même, bien qu'il n'ait pas utilisé le mot, le fascisme. L’ancien président a fait une référence indirecte et quelque peu maladroite, mais incontestable, à la montée du Troisième Reich d’Adolph Hitler. «Nous connaissons des sociétés où cela s’est produit», a déclaré Obama, ajoutant ceci: «Il y avait vraisemblablement une salle de bal ici, à Vienne, à la fin des années 1920 ou 30, qui semblait assez sophistiquée et dédiée à la musique, à l'art et à la littérature moderne, et dont on pensait qu’elle continuerait à perpétuité. Et puis 60 millions de personnes sont mortes. Un monde entier a été plongé dans le chaos… Donc vous devez faire attention - et voter!» C'était une référence assez historique, rendue plus inquiétante par ce qu’avait dit Obama: «Ici à Vienne».

Personne dans l'auditoire ne s'est levé pour souligner l'évidence: l’homme d’affaires mondialiste et néolibéral, Barack Obama, l’adepte du partenariat trans-Pacifique avait passé ses huit ans à la Maison Blanche à polluer le soi-disant jardin de la démocratie, travaillant ouvertement à saper l’authenticité des prétentions au progressisme et à la démocratie de son parti, démobilisant les électeurs démocrates et ouvrant ainsi la voie au menteur populiste et violemment raciste, Trump.

6. Contrepoint fantôme

Pendant la présidence d'Obama, le bureau ovale de l’ancien «organisateur de la communauté» de South Side Chicago était orné d'un portrait du jeune Muhammad Ali debout au-dessus du corps allongé de Sonny Liston, qu'Ali (alors Cassius Clay) venait de mettre knock-out (le coup de poing semble avoir été fantôme). Pendant l’ex-présidence d’Obama, de même que pendant la présidence actuelle, Obama «Surtout Pas de Drame» n’a pas trouvé de véritable contrepoint pour répondre à la droite. Il est resté fidèle aux règles classiques du comportement post-présidentiel, en disant incroyablement peu sur ou contre son successeur fasciste, alors même que Trump a plongé la nation dans une folie et une misère toujours plus profondes.

Jusqu'à mercredi, à deux semaines des élections, l'ex-président Obama n'a presque jamais mentionné ni directement critiqué Trump par son nom. Il n’a jamais blâmé le fascisme de Trump ni (même) le nationalisme blanc autoritaire. Pendant ce temps, Trump a enfreint d'innombrables règles présidentielles, y compris la convention de ne pas dire du mal de son prédécesseur. Trump a passé ses années à la Maison Blanche à condamner de manière obsessionnelle Obama, à blâmer Obama pour chaque maladie sous le soleil frappant la nation et à attaquer les programmes phares d'Obama (the Affordable Care Act, les Accords de Paris sur le climat, l'Accord sur le nucléaire iranien, etc) avec une jubilation constante, obsessionnelle et racialisée. Je parle de l’incapacité étonnante d’Obama à riposter dans le troisième chapitre de Hollow Resistance, intitulé «Où est Obama?» Ce n’est pas Muhammad Ali.

On peut faire un curieux parallèle avec le «coup de poing fantôme» du jeune Ali contre Liston: les journalistes américains exagèrent régulièrement l’importance des ripostes d’Obama. Encore et encore, en faisant des recherches pour ce livre, j'ai trouvé des journalistes, des experts et des personnes influentes formulant des vœux pieux, imaginant qu'Obama avait lancé une contre-offensive alors qu'il ne l'avait pas fait.

7. Un désastre pour l'égalité des Noirs

Malheureusement, mais c’était à prévoir, Obama a déclenché un retour de bâton des Américains nationalistes Blancs (à commencer par le Tea Party et qui s’est ensuite transformé en Trumpisme) simplement en raison de sa couleur de peau. Dans le même temps, son ascension à la Maison Blanche a mis un terme à la conviction, pourtant déjà faible, de nombreux Américains Blancs dans le fait que le racisme posait de sérieux obstacles à l’avancement et à l’égalité des Noirs. Tout ça est ironique. De même que, comme il était prévisible, le «néolibéral béat et répressif à la fois» Obama n'a rien fait en tant que président pour faire avancer substantiellement la lutte pour l'égalité des Noirs pendant sa présidence, qui a vu le revenu net des Noirs diminuer et une épidémie de meurtres de Noirs par des policiers blancs. La noirceur de peau d'Obama l'a rendu moins susceptible que ne l’aurait été une néolibérale démocrate blanche (Hillary Clinton) ou semi-progressiste (John Edwards) pour lancer des initiatives pro-Noirs. Obama et ses conseillers ont décidé qu'ils avaient assez contrarié les électeurs blancs, exaspérés par le simple fait de la présence d'un Noir à la Maison Blanche. Enclin à donner des leçons aux Noirs sur leur supposée responsabilité personnelle et culturelle en ce qui concerne leur pauvreté et le nombre disproportionné de leurs incarcérations, le refus d'Obama, dans son désir de plaire aux Blancs, de s'attaquer au racisme institutionnel et systémique dans une mesure significative a aidé à démobiliser les électeurs noirs dans des villes importantes comme Milwaukee, Detroit, Philadelphie, Charlotte et Miami en 2016. La tiédeur et le silence d'Obama sur la justice raciale et sociale se sont poursuivis sous Trump, dont les attaques constantes contre le bilan d'Obama ont été alimentées par un racisme à peine caché. Ironiquement, Obama n'a pas fait grand-chose pour faire progresser le statut des Noirs américains, ce qui a permis à Trump de devenir ce que le clown d'Obama, candidat à la présidence, Joe Biden (un homme aux antécédents politiques profondément racistes), appelle absurdement «le premier président raciste des Etats-Unis».

L'ascension d'un homme Noir à la Maison Blanche au pays de l'esclavage du coton a sans doute été un désastre pour la lutte pour l'égalité des Noirs, contribuant à amener un raciste virulent au pouvoir. Quelle ironie!

8. Obama «le progressiste» entre en ploutocratie.

Décrire Obama comme un ami «progressiste» de la classe ouvrière pauvre et majoritaire en lutte contre la minorité des riches est profondément inexact. Le marketing frauduleux d'Obama en tant que progressiste est devenu encore plus ironique car il a profité de ses nombreuses années de service pas vraiment public, dévoué à la classe dirigeante des entreprises et de la finance, pour entrer lui-même dans l'oligarchie américaine. Comme je le détaille dans le chapitre 4 de Hollow Resistance, intitulé Cashing In, le paiement différé d'Obama (sous la forme de contrats de livres, de frais de conférences, d'un contrat avec Netflix, etc) que lui verse la classe financière du pays l'a catapulté dans les hauteurs des 1%. Le nouvel oligarque, passionné de sport de longue date, Obama, cherche à devenir copropriétaire d'une franchise de la National Basketball Association (NBA), un contrepartie peut-être pour lui qui a récemment convaincu LeBron James et d'autres joueurs de la NBA d'annuler une menace de grève en solidarité avec les manifestations pour George Floyd, Breonna Taylor, Jacob Blake et Black Lives Matter.

9. «Voter, voter, voter»… pour qui?

Obama est un grand prêtre de l'électoralisme. Soulignant encore l'absurdité ironique de l'image de marque «progressiste» d'Obama, Obama, en tant qu'ex-ancien président, a effacé sa carrière passée (bien brève) d’«organisateur de communauté» en continuant de dire absurdement aux gens que «la meilleure façon de protester est de voter» (Urbana, Illinois, septembre 2018) et que «le vote est l'action la plus importante que nous puissions entreprendre au nom de la démocratie» (oraison funèbre d'Obama pour John Lewis cet été). Il n’a pas pu faire l'éloge de la remarquable rébellion de George Floyd sans affirmer que voter est le véritable moyen de changer les choses ou sans reprendre une de ses critiques de longue date sur les années 1960 supposées excessivement radicales.

Les conseils d’Obama sont des conneries. Comme Howard Zinn l'a expliqué dans un essai progressiste d'avril 2008 intitulé «La folie de l’élection», publié alors que l’Obamania se répandait à travers l'Amérique:

«La frénésie électorale… s'empare du pays tous les quatre ans parce que nous avons tous été élevés dans la conviction que  voter est crucial pour déterminer notre destin, que l'acte le plus important qu'un citoyen puisse entreprendre est d'aller aux urnes et de choisir l'une des deux médiocrités déjà choisies pour nous. C'est un test à choix multiples si étroit, si spécieux, qu'aucun enseignant qui se respecte ne le ferait passer à ses élèves… Historiquement, le gouvernement, qu'il soit aux mains de Républicains ou Démocrates, conservateurs ou libéraux, a failli à ses responsabilités, jusqu'à ce qu’il y soit contraint par des actions directes : des sit-in et des Marches pour la Liberté pour les droits des Noirs, des grèves et des boycotts pour les droits des travailleurs, des mutineries et des désertions de militaires pour arrêter une guerre. Vote est facile et d’une utilité marginale, mais c'est un piètre substitut à la démocratie, qui exige une action directe des citoyens concernés».

Au fait, pour qui le «progressiste» Obama veut-il que les Américains votent en particulier? Pour des Démocrates réellement progressistes comme Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, qui se présentent en accord avec l'opinion publique progressiste majoritaire en faveur d’un programme absolument nécessaire et largement coopté, comme la création d’un organisme national unique d'assurance maladie, actuellement soutenu par 7 Américains sur 10? Pas du tout. Bien sûr que non. Comme je le montre au chapitre 5, intitulé «Votez! - Pour qui?», les listes de candidats d’Obama, aux élections bi-annuelles, étaient principalement centristes, en cohérence avec son identité de Démocrate de 3e Voie, genre ‘républicain comme Eisenhower’, à la façon de Clinton, Tony Blair, Emmanuel Macron. Obama a travaillé «en coulisse» pour saper Sanders au cours des deux derniers cycles électoraux. Nous devons à Barack Obama la présence du clown, homme d’affaires et belliciste Biden au cœur de l’histoire dans ce moment périlleux actuel.

D'où viennent les ironies et les absurdités d'Obama? Dans sa biographie très bien documentée de 1078 pages Obama Rising Star (1460 pages avec les notes de fin), l'auteur, lauréat du prix Pulitzer, David Garrow, attribue l’incapacité d'Obama à se confronter à la richesse et au pouvoir au narcissisme «creux» du 44e président et à sa faiblesse psychologique. Sans écarter complètement l’analyse de Garrow, le dernier chapitre de Hollow Resistance propose une interprétation moins psycho-historique et plus proche de Gramsci, mettant l’accent sur l’endoctrinement et la socialisation du jeune Obama à l’Université Columbia et à Harvard Law. Obama était un Clintonite éloquent, possédant des «qualités spéciales» qui l'ont équipé pour servir remarquablement la classe dirigeante. Si l'ex-président Obama est un homme «creux», c'est un homme creux plein d'idées profondément conservatrices proches de la classe dirigeante.

Notes:

[1] La meilleure description précoce de Trump en tant que fasciste est de loin Adam Gopnik, «Aller là-bas avec Donald Trump», The New Yorker, 1er mai 2016: «Comment diable sais-je ce que je trouve incroyable? se demande un philosophe perplexe dans la pièce de Tom Stoppard 'Jumpers'. La crédibilité est un domaine en expansion ... et la pure incrédulité s'enregistre à peine sur le visage avant que la tête hoche la tête avec une sagesse rétrospective.» Cela devient une émotion familière. L'inimaginable se produit - Donald Trump, imbécile, idiot et menteur sociopathe, devient le candidat d'un grand parti politique américain - et en quelques minutes ce qui devrait être un choc incompréhensible devient un événement à goûter, accepter et analyser. Des efforts désespérés pour normaliser l’aberrant commencent: c’est en fait un Républicain type Rockefeller avec des cheveux orange; il n’a pas été humilié par les railleries du président Obama lors de ce dîner de 2011, mais il a répondu comme un brave gars aimable et sociable; même son ‘birtherism’ (Trump accusait Obama de n’être pas né aux Etats-Unis et n’avait donc pas le droit de se présenter) n’était pas vraiment le racisme que chacun y voyait, simplement il n’était vraiment pas sûr de l’endroit où était né le président. Trump raconte un mensonge incroyable après l'autre à la télévision du dimanche matin: nous sommes la nation la plus taxée du monde ; il s’est toujours opposé à la guerre en Irak - et Chuck Todd ne fait rien de plus qu’acquiescer et dire ‘Gotcha!’… C’est le genre de réponse désespérée devant la montée du fascisme que l’on pourrait s’attendre à trouver dans une culture médiatique décadente. Les néocons ont fait un fétiche de 1938; rétrospectivement, ils auraient mieux fait de regarder attentivement 1933. Il existe une formule simple pour décrire Donald Trump: un qualificatif, un trait d'union plus le mot «fasciste». Ça peut être crypto-fasciste, néo-fasciste, fasciste latent, proto-fasciste ou fasciste de type américain. Les futurs politologues analyseront (espérons avec une rétrospective amusée, plutôt qu'en exil en Nouvelle-Zélande ou à Alberta) les éléments précis du poujadisme, du péronisme et du Pap de Huck Finn qui composent l'idéologie de Trump. Mais sa personnalité et son programme appartiennent exclusivement à la même souche sombre de la politique moderne: un programme incohérent de vengeance nationale dirigé par un homme fort; un mépris du gouvernement et des procédures parlementaires ; une insistance sur le fait que le gouvernement existant, démocratiquement élu, que ce soit celui de Léon Blum ou celui de Barack Obama, est de mèche avec des étrangers maléfiques et tente secrètement de saper la nation ; un militarisme hystérique conçu pour aucune autre fin particulière que le simple spectacle de la force ; un sentiment tout aussi hystérique d'être assiégé et de victimisation…… 

[2]. «L’énormité et la variété des méfaits de M. Trump, a observé dimanche dernier le comité de rédaction du New York Times, peut sembler accablante. La répétition a atténué le sentiment d'indignation et l'accumulation de nouveaux outrages laisse peu de temps pour s'attarder sur les détails.» (Un homme indigne de son bureau, New York Times, 17 octobre 2020, Sunday Review, p.2).

[3] Pour une analyse empirique et idéologique de la base de Trump, voir Paul Street, «The Trumpenvolk», pp. 48-65 in Christopher Ketcham, ed. Unflattering Photos of Fascists: Authoritarianism in Trump's America (Chico, CA: AK Press , Septembre 2020).

Le nouveau livre de Paul Street est The Passive Resistance: Obama, Trump, and Politics of Apeasement.

Lien de l’article en anglais:

https://www.counterpunch.org/2020/10/23/ex-president-obama-ten-ironies/

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