Le Canada doit tenir compte de son histoire d’hébergement et de célébration des criminels de guerre nazis

Publié le par La Gazette du Citoyen

Par Luke Savage le 6 octobre 2023

L'histoire honteuse du Canada en matière de protection et même de célébration des criminels de guerre nazis reçoit enfin l'attention qu'elle mérite. Pourtant, certaines personnalités dominantes continuent de répéter la propagande nationaliste d’extrême droite sous couvert de résister à la «désinformation».

Sculpture du collaborateur nazi ukrainien Roman Shukhevych à Edmonton, Canada, le 23 août 2023 (Crédit photo: Artur Widak/NurPhoto)

Sculpture du collaborateur nazi ukrainien Roman Shukhevych à Edmonton, Canada, le 23 août 2023 (Crédit photo: Artur Widak/NurPhoto)

Lorsque la nouvelle s'est répandue comme quoi le Parlement canadien avait offert une ovation debout à un vétéran de la Waffen-SS âgé de quatre-vingt-dix-huit ans, il était malheureusement facile d'imaginer que l'histoire allait être dévoilée en quelques jours.

D’une part, les précédents reportages sur les monuments honorant les vétérans de la 14e division de Grenadier Waffen SS (ou 1re division galicienne) n’avaient pas réussi à susciter un tollé national significatif. Après qu'il a été dévoilé en 2017 que Chrystia Freeland, alors ministre des Affaires étrangères du Canada et aujourd'hui ministre des Finances, était au courant du passé de son grand-père en tant que rédacteur en chef d'un journal nazi dans la Pologne occupée, cette révélation a semblé pour l'essentiel tomber dans l'oreille d'un sourd - bien que la ministre lui avait auparavant rendu hommage.

Et lorsque le premier ministre Justin Trudeau a évoqué le spectre de la «désinformation russe» à la suite du récent épisode au Parlement, il était étrangement plausible d’imaginer que la même chose pourrait se reproduire. Le spectacle grotesque des experts traditionnels tergiversant sur la question de savoir si le fait de se porter volontaire pour les SS et de prêter serment d’allégeance à Adolf Hitler faisait techniquement de quelqu’un un nazi ne faisait que confirmer le pire.

Quoi qu’on puisse dire d’autre sur le discours médiatique qui a suivi, le problème n’a absolument pas disparu. En fait, la célébration par le Parlement de Yaroslav Hunka – qui a volontairement rejoint une unité militaire qui a commis des crimes de guerre et a continué à célébrer son appartenance aux SS jusqu'à un âge avancé – semble avoir rompu le silence. Comme Jeremy Appel l’a spéculé le mois dernier: «Peut-être que l’affaire Hunka servira de catalyseur pour une prise de conscience attendue depuis longtemps sur la façon dont les responsables canadiens, au nom de l’anticommunisme, ont fermé les yeux sur les sympathies nazies parmi les émigrés nationalistes d’Europe de l’Est…»

Grâce au travail important d'Appel et d'un certain nombre d'autres journalistes, des détails ont continué à apparaître sur l'ampleur effroyable avec laquelle les collaborateurs nazis ukrainiens expatriés se sont insinués dans la vie culturelle et politique du Canada après la guerre. Il s’est avéré que Hunka possédait en fait une fondation qui portait son nom dans une grande université de l’Alberta. Et depuis, selon certaines informations, près de 1,5 million de dollars de dotations et de dons similaires ont été identifiés. Peter Savaryn, qui était assez ouvert sur son passé dans la Waffen-SS, a même été chancelier de l'Université de l'Alberta dans les années 1980 et vice-président de ce qui était alors le parti au pouvoir national du pays. À sa retraite en 1987, il a reçu l'Ordre du Canada, la plus haute distinction civile du pays. (Cette semaine, l'actuelle gouverneure générale du Canada, Mary Simon, a présenté ses excuses pour ce prix.)

Pendant ce temps, des groupes juifs renouvellent leurs appels à la suppression des monuments dédiés aux Ukrainiens qui ont combattu pour les nazis et qui se trouvent actuellement à Edmonton, en Alberta, et à Oakville, en Ontario. Les appels se sont également multipliés pour la publication d’une version non expurgée du rapport de la Commission Deschenes – publié à la suite d’une enquête erronée des années 1980 sur la présence de criminels de guerre nazis au Canada, bien que les noms des anciens nazis présumés soient gardés secrets.

Aussi encourageants que soient ces développements, ils n’ont pas encore stoppé le flux constant de révisionnisme historique qui a honteusement suivi l’affaire Hunka. Compte tenu du contexte géopolitique actuel, certains semblent croire que l’agression de la Russie de Vladimir Poutine contre l’Ukraine actuelle justifie d’une manière ou d’une autre les équivoques sur l’histoire de l’Holocauste et la criminalité des collaborationnistes ukrainiens alignés sur les nazis dans les années 1940. Des articles épouvantables comme celui publié par Politico (Lien: https://www.politico.eu/article/fight-against-ussr-nazi-waffen-ss-trooper-yaroslav-hunka-world-war-ii-soviet-union-germany/), vont encore plus loin en suggérant que la démonologie des Waffen-SS – qui a été officiellement déclarée organisation criminelle par le Tribunal militaire international lors du procès de Nuremberg – serait en quelque sorte déplacée.

Il est alarmant que cela ait besoin d’être dit, mais il est plus que sinistre de voir des gens répéter la propagande nationaliste d’extrême droite sous couvert de résister à la «désinformation». En outre, cela rend un très mauvais service, non seulement à l'histoire, mais aussi aux efforts héroïques des millions d'Ukrainiens de l'Armée rouge qui ont contribué à vaincre l'Allemagne nazie et à tous ceux de la diaspora ukrainienne du Canada qui rejettent les tentatives de la droite nationaliste de la réécrire.

Quoi qu'il en ressorte, l'épisode honteux de Hunka a contribué à révéler quelque chose de profondément laid dans l'histoire du Canada et à montrer à quel point certains sont prêts à plier le passé autour de leur récit contemporain préféré. Avec un peu de chance, ce n’est que le début. Les statues doivent tomber. Les dotations doivent être identifiées et résiliées. Les dossiers doivent être ouverts. Et le voile de l’ignorance que certains ont tenté de placer sur l’histoire du XXe siècle doit être définitivement levé.

Luke Savage est rédacteur chez Jacobin. Il est l'auteur de The Dead Center: Reflections on Liberalism and Democracy After the End of History.

Lien de l’article en anglais:

https://jacobin.com/2023/10/canada-nazi-emigres-honor-yaroslav-hunka-memory

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