La sauvagerie de la guerre contre le peuple palestinien

Publié le par La Gazette du Citoyen

Par Vijay Prashad pour Counterpunch le 13 octobre 2023

Qui sait combien de civils palestiniens seront tués au moment où ce rapport sera publié? Parmi les corps qui ne pourront pas être transportés à l'hôpital ou à la morgue, parce qu'il n'y aura ni essence ni électricité, il y aura un grand nombre d'enfants. Ils se seront cachés dans leurs maisons, écoutant le bruit des bombardiers israéliens F-16 qui se rapprochent de plus en plus, les explosions avançant vers eux comme un essaim de fourmis rouges en chasse. Ils se seront bouché les oreilles avec leurs mains, accroupis avec leurs parents dans leurs salons sombres, attendant, attendant que l'inévitable bombe frappe leur maison. Le temps que les secouristes les rejoignent sous les montagnes de décombres, leurs corps seront devenus méconnaissables, leurs familles pleureront en déterrant des vêtements ou des objets familiers. Tel est le sort des Palestiniens qui vivent à Gaza.

Un de mes amis à Gaza, qui a un enfant de 17 ans, m'a dit, la première nuit de cette récente vague de bombardements israéliens, que son enfant avait vécu au moins dix grandes attaques israéliennes contre les Palestiniens de Gaza. Tout en parlant, nous avons dressé une liste de certaines des guerres dont nous nous souvenions (comme il s'agit de guerres d'Israël, nous utilisons les noms de l'armée israélienne pour leurs attaques sur Gaza):

+ Opération Pluies d'été (juin 2006)

+ Opération Nuages d'automne (octobre-novembre 2006)

+ Opération Hiver chaud (février-mars 2008)

+ Opération Plomb durci (décembre 2008-janvier 2009)

+ Opération Running Echo (mars 2012)

+ Opération Pillar of Cloud (novembre 2012)

+ Opération Protective Edge (juillet-août 2014)

+ Opération Black Belt (novembre 2019)

+ Opération Breaking Dawn (août 2022)

+ Opération Shield and Arrow (mai 2023)

En 2018, Razan al-Najjar, 20 ans, tentait d'aider une manifestante blessée près de la barrière frontalière lorsqu'elle a été abattue par des soldats israéliens

En 2018, Razan al-Najjar, 20 ans, tentait d'aider une manifestante blessée près de la barrière frontalière lorsqu'elle a été abattue par des soldats israéliens

Chacune de ces attaques pulvérise le peu d’infrastructure qui reste intacte à Gaza et frappe très durement les civils palestiniens. Les morts et les blessés civils sont enregistrés par le ministère de la santé à Gaza, mais ignorés par les Israéliens et leurs soutiens occidentaux. Alors que les bombardements actuels s'intensifiaient, le journaliste Muhammad Smiry a déclaré: "Nous pourrions ne pas survivre cette fois-ci". Smiry n'est pas le seul à être inquiet. Chaque fois qu'Israël envoie ses avions de chasse et ses missiles, la mort et la destruction atteignent des proportions inimaginables. Cette fois-ci, avec une invasion à grande échelle, la destruction sera d'une ampleur inégalée.

La ruine de Gaza

Gaza est une ruine peuplée de près de deux millions de personnes. Après le terrible bombardement de Gaza par Israël en 2014, un rapport des Nations unies indique que "les gens dorment littéralement parmi les décombres ; des enfants sont morts d'hypothermie". Une phrase du même genre a été écrite après chacun de ces bombardements et le sera encore lorsque celui-ci prendra fin.

En 2004, le directeur de la sécurité nationale israélienne, Giora Eiland, a déclaré que Gaza était un "immense camp de concentration". Cet "immense camp de concentration" a été érigé en 1948, lorsque la politique de nettoyage ethnique de l'État israélien nouvellement créé a déplacé les Palestiniens dans des camps de réfugiés, y compris à Gaza. Deux ans plus tard, les services de renseignement israéliens ont déclaré que les réfugiés de Gaza avaient été "condamnés à l'extinction totale". Ce jugement n'a pas changé au cours des 73 années qui se sont écoulées depuis. Malgré le retrait officiel des colons et des troupes israéliennes en 2005, Israël reste la puissance occupante de la région en fermant les frontières terrestres et maritimes de la bande de Gaza. Israël décide de ce qui entre dans la bande de Gaza et utilise ce pouvoir pour étrangler périodiquement la population.

Politicide

Lorsque les Palestiniens de Gaza ont tenté d'élire leurs propres dirigeants en janvier 2006, le Hamas - formé lors de la première Intifada (soulèvement) de 1987 à Gaza - a remporté les élections. La victoire du Hamas (Mouvement de résistance islamique) a été condamnée par les Israéliens et les Occidentaux, qui ont décidé de recourir à la force armée pour renverser les résultats de l'élection. Les opérations "Pluies d'été" et "Nuages d'automne" ont introduit les Palestiniens dans une nouvelle dynamique : des bombardements ponctuels en guise de punition collective pour avoir élu le Hamas aux élections législatives. Gaza n'a jamais eu droit à un processus politique, en fait, elle n'a jamais été autorisée à former une quelconque autorité politique pour parler au nom de la population. Israël a tenté par la force d'éradiquer la vie politique de Gaza et de contraindre la population à une situation où le conflit armé devient permanent. Lorsque les Palestiniens ont organisé une grande marche du retour non violente en 2019, l'armée israélienne a répondu par la force brute, tuant deux cents personnes. Lorsqu'une protestation non violente est réprimée par la force, il devient difficile de convaincre les gens de continuer à manifester ainsi et de ne pas prendre les armes.

Au fur et à mesure que ce conflit devient permanent, la frustration est telle que la politique palestinienne, face à l'impossibilité de négocier, se trouve dans la nécessité de recourir à la violence armée. Aucune autre voie n'est ouverte. Les dirigeants politiques palestiniens ont été soit entravés par l'Union européenne et les États-Unis et donc éloignés des aspirations populaires, soit - s'ils continuent à refléter ces aspirations - envoyés dans l'une des nombreuses et dures prisons israéliennes (quatre hommes palestiniens sur dix sont ou ont été en prison, tandis que les dirigeants de la plupart des partis de gauche y passent de longues périodes en vertu d'ordonnances de "détention administrative"). Le sociologue israélien Baruch Kimmerling a affirmé que la politique israélienne à l'égard des Palestiniens s'est traduite par un "politicide", c'est-à-dire la destruction délibérée des processus politiques palestiniens. La seule voie qui reste ouverte est celle de la lutte armée.

Et pourtant, en vertu du droit international, la lutte armée contre une puissance occupante n'est pas illégale. De nombreuses conventions internationales et résolutions des Nations unies affirment le droit à l'autodétermination: il s'agit notamment du protocole additionnel 1 des conventions de Genève de 1949, de la résolution 3314 (1974) de l'Assemblée générale des Nations unies et de la résolution 37/43 (1982) de l'Assemblée générale des Nations unies. La résolution de 1982 "réaffirme la légitimité de la lutte des peuples pour l'indépendance, l'intégrité territoriale, l'unité nationale et la libération de la domination coloniale et étrangère et de l'occupation étrangère par tous les moyens disponibles, y compris la lutte armée". On ne peut dire plus clairement que la lutte armée est légale contre une occupation illégale.

Pourquoi le Hamas attaque-t-il Israël? Parce qu'une règle politique s’est imposée dans les relations entre les Palestiniens et les Israéliens en raison de la nature de l'occupation israélienne. Chaque fois qu'il y a une modeste initiative en faveur de pourparlers - souvent négociés par le Qatar - entre le Hamas et le gouvernement israélien, ces pourparlers sont réduits au silence par le bruit des avions de chasse israéliens.

Crimes de guerre

Chaque fois que les avions de combat israéliens bombardent Gaza, les dirigeants des pays occidentaux s'alignent pour annoncer qu'ils "soutiennent Israël" et qu'"Israël a le droit de se défendre". Cette dernière affirmation - sur le fait qu'Israël a le droit de se défendre - est juridiquement erronée. En 1967, les forces israéliennes ont franchi les "lignes vertes" israéliennes de 1948 et se sont emparé de Jérusalem-Est, de Gaza et de la Cisjordanie. La résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies a demandé le "retrait des forces armées [israéliennes] des territoires occupés lors du récent conflit". L'utilisation du terme "occupé" n'est pas innocente. L'article 42 du Règlement de La Haye (1907) stipule qu'un "territoire est considéré comme occupé lorsqu'il est effectivement placé sous l'autorité de l'armée ennemie". La quatrième convention de Genève oblige la puissance occupante à être responsable du bien-être de ceux qui ont été occupés, obligations largement violées par le gouvernement israélien.

En fait, en ce qui concerne Gaza depuis 2005, les hauts fonctionnaires israéliens n'utilisent pas le terme d'’autodéfense’. Ils parlent de ‘punition collective’. Avant les bombardements en cours, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré : "Nous avons décidé d'interrompre les transferts d'électricité, de carburant et de marchandises vers Gaza". Son ministre de la défense, Yoav Gallant, a poursuivi: "J'ai ordonné un blocus complet de la bande de Gaza. Il n'y aura pas d'électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé." Le ministre israélien de l'énergie, Israël Katz, a quant à lui déclaré: "J'ai ordonné que l'approvisionnement en eau d'Israël à Gaza soit immédiatement interrompu." Ayant mis ces menaces à exécution, ils ont bouclé Gaza - notamment en bombardant le point de passage de Rafah vers l'Égypte - et mis en danger la vie de deux millions de personnes. Selon les termes des conventions de Genève, il s'agit d'une "punition collective", qui constitue un crime de guerre. La Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur les crimes de guerre israéliens en 2021, mais n'a pas été en mesure de progresser, ne serait-ce que pour recueillir des informations.

Les enfants se blottissent dans leur chambre en attendant les bombes, restent dans l'obscurité car il n'y a pas d'électricité et attendent, la gorge desséchée et le ventre affamé, la fin. Après le bombardement israélien de 2014, Umm Amjad Shalah a parlé de son fils Salman, âgé de 10 ans. Le garçon ne voulait pas laisser partir sa mère, terrorisé par le bruit des explosions et la mort qui l'entourait. "Parfois, il crie si fort", dit-elle. "On dirait presque qu'il rit fort.

Lien de l’article en anglais:

https://www.counterpunch.org/2023/10/13/the-savagery-of-the-war-against-the-palestinian-people/

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article