Mon expérience de 10 jours dans un hôpital psychiatrique à Gaza en 1988

Publié le par La Gazette du Citoyen

Par Alexis Lerebel pour La Gazette du Citoyen le 9 octobre 2023

Carte de la bande de Gaza

Carte de la bande de Gaza

La bande de Gaza, j'y suis allé en 1988 alors que je n'avais que 22 ans. J'y suis resté une dizaine de jours et ce séjour m'a marqué à vie. C'était le début de la toute première Intifada, la révolte contre l'occupant israélien.

J'y étais arrivé en auto-stop à partir de la ville israélienne d'Ashkelon. Je n'étais ni un journaliste, ni un humanitaire mais un simple voyageur. Je venais de la vieille ville de Jérusalem où je logeais dans un hôtel arabe pour routards. Si j'y suis allé, c'est parce que je voulais voir par moi-même ce que les infos me disaient ou ne me disaient pas. Je n'ai pas été déçu, j'y ai vécu l'une des expériences les plus terribles, et aussi les plus fascinantes de toute ma vie.

Dès que j'ai pénétré dans ce territoire occupé, la misère et le poids de l'occupation m'ont frappé. Il s'agissait d'une bande de terre désertique sans aucune ressource. Dans les rues, il n'y avait qu'un point d'eau tous les cent mètres, un robinet, et les habitants devaient y faire la queue pour remplir des seaux afin de se laver et boire... Et ceci tous les jours. Le robinet ne marchait généralement que de 4 heures de l'après-midi à 9 heures soit 5 heures par jours seulement.

A l'époque, la ville était sous occupation israélienne et régulièrement, les forces d'occupation imposaient un couvre-feu total lors duquel les habitants n'avaient ni le droit de sortir de chez eux, ni d'allumer la lumière (sinon les patrouilles israéliennes tiraient à balles réelles dans les fenêtres). Le prétexte invoqué était toujours le même; un ou plusieurs gamins avaient osé jeter des cailloux sur une patrouille de l'armée israélienne.

Les gens luttaient pour survivre, où tout simplement pour vivre.

Il n'y avait pas d'hôtels dans la ville et c'est finalement le personnel palestinien d'un hôpital psychiatrique de la ville qui m'a accueilli, logé et nourri.

Ces gens, les infirmiers et les docteurs, ont été d'une gentillesse inoubliable avec moi... l'hospitalité arabe dans son meilleur.

Ils n'ont pas cherché à m'influencer. Ils m'ont juste dit: "vois par toi-même les conditions dans lesquelles nous vivons".

Parmi les fous de l'établissement, il y avait un vieil arabe avec une longue barbe blanche comme le Père Noël habillé d'une simple djellaba.

Le vieux restait toute la journée assis sur un banc près de la fenêtre. Puis, tous les soir à la même heure juste avant le coucher du soleil, il se levait, ouvrait la fenêtre, et insultait les occupants israéliens. Enfin, quand il avait fini de les insulter, il soulevait sa djellaba et leur montrait sa bite. Après il s’assoyait à nouveau et ne disait plus rien jusqu'au lendemain à la même heure ou il recommençait son numéro.

Il n'y avait rien d'autre que la cour vide de l'hôpital en dessous de la fenêtre mais le vieux continuait, jour après jour, d'exorciser son traumatisme face à cette cour vide de l'établissement.

Parfois, l'hôpital psychiatrique se transformait en hôpital de soins lorsqu'on y amenait un blessé suite aux affrontements entre jeunes palestiniens et troupes d'occupation israéliennes.

La plupart du temps, les victimes avaient reçu un tir de balle en caoutchouc à bout portant dans l'œil et avaient été éborgnés intentionnellement un peu comme c'est arrivé aux Gilets jaunes 30 ans après le témoignage que je raconte dans ce récit.

Ces gens que j'ai vu avec l'œil éclaté... c'était horrible... encore maintenant il m'arrive d'avoir des cauchemars...

En fait, ces fameuses balles en caoutchouc, mes amis palestiniens en ont dépecé une pour me montrer, il s'agissait en réalité d'une bille en acier recouverte d'une couche d'un millimètre de caoutchouc.

Un jour, des gamins sont passés devant l'hôpital. Ils m'ont dit qu'ils allaient jeter des pierres sur une patrouille de l'armée israélienne. Ils m'ont proposé de les accompagner mais mes amis de l'hôpital psychiatrique m'ont fortement déconseillé de le faire. J'ai décliné l'invitation. Cette nuit-là, on a entendu de nombreux coups de feu.

La principale chose que j'ai retenu de Gaza, c'est que c'était une fine bande de terre où vivaient des centaines de milliers de gens dans une misère noire. Et que les vieux racontaient aux gamins qu'autrefois ils possédaient de belles maisons avec de beaux jardins plein d'orangers et de citronniers qui donnaient des fruits gouteux mais qu'un jour les sionistes sont arrivé et les en ont chassé pour se les approprier.

Cette enclave, d'après ce que j'en ai vu, c'était un camp de concentration à ciel ouvert. 

Si l'on fait abstraction de toute l'horreur qui nous entourait, je me sentais bien avec le personnel de l'hôpital. Quand ils ont vu que j'avais l'intention de passer plus qu'une simple nuit avec eux, ils m'ont considéré comme l'un des leurs.

Tous les soirs ils me préparaient un bon repas. Je savais qu'ils faisaient ce qu'ils pouvaient pour dégoter de quoi manger dans cette enclave qui reniflait la misère à plein nez et ils y arrivaient. Leur situation était probablement meilleure que celles de la majorité des habitants de Gaza car c'étaient des médecins et des infirmiers mais je sais que leurs repas quotidiens étaient loin d'être aussi bons d'habitude. J'avais droit, en tant qu'invité, à un traitement spécial.

La seule chose qu'ils me demandaient en contrepartie, c'était de raconter ce que j'avais vu à Gaza.

Je l'ai fait. Je l'ai raconté à tous mes amis et mes connaissances mais c'est la première fois que j'écris un article là-dessus et que je le publie sur l'internet dans l'espoir qu'il soit vu par le plus grand nombre.

J'espère qu'ils ne m'en voudront pas d'avoir attendu si longtemps pour le faire. Qu'ils sachent cependant que je ne les oublierai jamais.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article