Les médias occidentaux consacrent la veuve de Navalny, leader de l'opposition ‘‘démocratique’’ russe

Publié le par La Gazette du Citoyen

Par Andrea Peters pour le World Socialist Web Site le 24 février 2024

Ioulia Navalnaya, épouse du chef de l'opposition russe Alexei Navalny, s'exprime lors de sa rencontre avec la ministre belge des Affaires étrangères Hadja Lahbib au bâtiment du Conseil européen à Bruxelles, le lundi 19 février 2024 (Crédit photo: AP Photo/Yves Herman)

Ioulia Navalnaya, épouse du chef de l'opposition russe Alexei Navalny, s'exprime lors de sa rencontre avec la ministre belge des Affaires étrangères Hadja Lahbib au bâtiment du Conseil européen à Bruxelles, le lundi 19 février 2024 (Crédit photo: AP Photo/Yves Herman)

Après la mort de l'opposant russe Alexeï Navalny vendredi dernier, les États-Unis et leurs alliés, avec l'aide des médias occidentaux, ont lancé une campagne faisant la promotion de son épouse, Ioulia, comme prochaine dirigeante de l'opposition «démocratique» russe au gouvernement Poutine. Comme il convient à un aristocrate, la «première dame de l'opposition russe» a été nommée «héritière» naturelle de son mari et est accueillie aux plus hauts niveaux de l'État.

Jeudi, Navalnaya et sa fille ont rencontré le président américain Joe Biden à San Francisco. La Maison Blanche, publiant sur les réseaux sociaux des photos des deux s'embrassant, a applaudi «Yulia et Dasha» et la lutte «pour la démocratie et les droits de l'homme».

Toute la semaine, tous les grands organes de presse des deux côtés de l'Atlantique – le New York Times, le Washington Post, le Wall Street Journal, MSNBC, CNN, la BBC, le Guardian, Deutsche Welle, Le Monde, El Pais, La Repubblica, etc. faisait leur une sur Navalnaya. Mardi, elle a fait la une du Times, éclipsant les rapports sur tous les développements majeurs dans le monde, notamment le massacre des Palestiniens à Gaza par Israël, le procès d'extradition de Julian Assange et la débâcle de la guerre entre les États-Unis et l'OTAN en Ukraine.

Quelques heures après l'annonce de la mort de son mari, Navalnaya était sur scène à la Conférence sur la sécurité de Munich, où elle devait prendre la parole. Manifestement libre de chagrin ou même du fait que, comme elle l'a reconnu dans ses remarques, la mort de Navalny n'avait pas encore été confirmée, l'épouse de l'opposant de droite a dénoncé Poutine et appelé à la destruction de son gouvernement, c'est-à-dire «à vaincre ce mal, vaincre l’horrible régime qui dirige actuellement en Russie.»

Navalnaya a rencontré le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne trois jours plus tard. Au milieu de tout cela, elle a trouvé le temps de préparer une déclaration vidéo, qui a fait le tour de la presse mondiale, déclarant Poutine comme l'assassin de son mari.

Les États-Unis et l'OTAN s'emparèrent de l'affirmation selon laquelle le président russe serait personnellement responsable de la mort de l'opposant pour approfondir leur campagne de guerre anti-russe, qui est en crise en raison de plusieurs mois d'échecs sur le champ de bataille en Ukraine et de profondes divisions au sein de la classe dirigeante américaine. Bien que la cause de la mort de Navalny n'ait pas encore été élucidée, le président américain Joe Biden a dévoilé mardi une série de nouvelles sanctions contre la Russie. Il s’agissait de demander des comptes à Poutine selon lui.

L’adulation de Navalnaya n’a rien à voir avec son importance en tant que personnalité politique, et encore moins avec ses références démocratiques vu qu’elle n’en a aucune, comme son époux décédé. Cela fait plutôt partie des efforts visant à trouver un remplaçant acceptable à Alexei Navalny, un remplaçant sans passé problématique, une personne politique dont les impérialistes peuvent faire leur jouet politique.

Navalnaya, fille de Moscovites de la classe moyenne, est diplômée en économie et a brièvement travaillé dans l'entreprise de meubles des parents de son mari. Elle n'a plus travaillé à l'extérieur de la maison depuis 2007 et sa principale occupation au cours des 20 dernières années a été de s'occuper du foyer et de la maison.

Tout au long de son mariage, elle est restée à l'écart des projecteurs, résistant aux appels à se présenter aux élections à la place de son mari lorsque celui-ci a été arrêté, et n'a jamais fait de déclarations politiques en dehors de celles liées à la persécution et à l'empoisonnement présumé de son mari. Sa personnalité publique consiste en grande partie à maintenir une expression sévère devant les caméras et à publier des déclarations de sa haine de Poutine et de son amour pour son mari, ainsi qu'à réaliser des séances de mannequinat haut de gamme avec ses enfants.

Hormis le fait qu’elle a été membre, avec son mari, du parti de droite Yabloko au milieu des années 2000, elle n’a pas d’antécédents politiques personnels. La seule chose qui est évidente est que, dans la mesure où elle a ses propres idées politiques, elle soutient pleinement les positions procapitalistes, de droite et nationalistes de son défunt mari. Peut-être qu'elle est encore plus féroce. Navalny a déclaré au YouTuber russe Yuri Dud dans une interview en 2020 que, par rapport à sa femme, il était «très modéré».

Cela la rend extrêmement précieuse pour les puissances impérialistes. Même avant sa mort, Navalny semble avoir survécu à son utilité pour l’impérialisme occidental. Son emprisonnement par le gouvernement Poutine et la fermeture de sa Fondation anti-corruption ont limité son influence. Les publications de l'homme sur les réseaux sociaux depuis sa prison, communiquées au monde entier par l'intermédiaire de ses avocats, n'ont pas réussi à gagner beaucoup de terrain. Il risquait une peine de plusieurs années de prison.

De plus, vendre Navalny comme un défenseur de la démocratie a toujours créé certaines difficultés en raison de ses positions farouchement anti-immigration et de son soutien ouvert aux alliances politiques avec l’extrême droite. Au milieu des années 2000, Navalny a publié une série de vidéos YouTube enragées et nationalistes. L’une d’entre elles réclamait que les immigrants soient écrasés comme des «cafards». Une autre déclarait la nécessité d’«expulser fermement» les immigrés et défendait le «droit d’être Russe en Russie». Il a également joué à plusieurs reprises un rôle central dans la Marche annuelle en Russie, un rassemblement d'éléments nationalistes, d'extrême droite et néofascistes.

Navalny avait toujours refusé de renoncer à ces positions ou activités. Amnesty International l’a brièvement dépouillé de son statut de «prisonnier de conscience» en raison de ses opinions. Dans le documentaire réalisé en 2022 sur lui et que Hollywood a comblé de récompenses, l'opposant a de nouveau été interrogé sur ces sujets. En réponse, il a insisté sur le fait que les alliances avec l’extrême droite étaient correctes, nécessaires et qu’il n’en avait pas honte.

Les puissances impérialistes ont été attirées par Navalny non pas en dépit mais à cause de ces positions. Ils considéraient qu’il était un individu libre de principes d’aucune sorte, quelqu’un qui pouvait être déployé comme un homme de paille tout comme l’a été Volodymyr Zelensky en Ukraine.

Le moment est désormais venu de passer à autre chose. Sa veuve, Navalnaya, bénéficie de certains avantages au niveau du marketing. Ayant très peu d’histoire politique, il n’est pas nécessaire d’expliquer un passé problématique. Divers détails de sa biographie ne sont même pas accessibles au public, comme l'endroit exact où elle a travaillé pendant son stage postuniversitaire en entreprise.

L'article «What to Know About Yulya Navalnaya (Ce qu'il faut savoir sur Yulya Navalnaya)» du Washington Post rapporte cinq «éléments de base» : où elle est née, où elle a obtenu son diplôme, où elle et son mari se sont rencontrés et ont vécu, et le fait que sa tâche principale au cours des 20 dernières années a été de s'occuper de ses enfants. La seule référence à quelque chose de politique dans son passé est son appartenance au parti Yabloko, que le journal décrit à tort comme un «parti politique de centre-gauche à l’esprit progressiste».

En bref, Navalnaya est un vaisseau politique encore plus vide que ne l’était son mari. En tant que femme, elle a l’avantage supplémentaire de satisfaire les besoins de la classe moyenne supérieure obsédée par le genre. Et comme les événements de cette semaine l’ont clairement montré, elle est impatiente de devenir l’outil docile des États-Unis et de l’OTAN.

Tandis que les médias bourgeois font la promotion de Navalnaya, la pseudo-gauche déborde de sa propre admiration pour son mari et travaille à le transformer en une sorte de gauchiste. Cela jettera les bases de leur propre participation à la campagne de soutien à son épouse.

Mardi, Jacobin a publié un commentaire sur Navalny d'Ilya Budraitskis, membre de longue date du parti Mouvement Socialiste Russe (Russian Socialist Movement, sigle en anglais: RSM). Aujourd’hui chercheur invité à l’Université de Californie à Berkeley, c’est un opérateur politique ayant des liens avec les élites du monde universitaire, du DSA et de l’État. Il soutient et défend les opérations américaines en Ukraine et organise des tournées de conférences sur l'impérialisme des droits de l'homme, au cours desquelles il affirme que les États-Unis, l'OTAN et les fascistes de Kiev mènent une guerre de libération progressiste. À l'occasion de la mort de Navalny, le RSM a publié une déclaration flatteuse qui a salué l'homme comme un martyr politique et un populiste qui, malgré ses «références de droite», «avait tendance à problématiser le capitalisme oligarchique». 

L'article de Budraitskis dans Jacobin cette semaine, intitulé «Alexei Navalny Taught Russia’s Opposition How to Mobilize (Alexeï Navalny a enseigné à l'opposition russe comment se mobiliser)», continue dans cette veine. Il dépeint l'opposant en termes élogieux, insiste sur le fait que ses positions anti-immigration étaient un flirt et déclare en larmes qu'il est «difficile d'accepter l'idée de la mort de Navalny».

Faisant le lien avec une déclaration décousue écrite par Navalny en août dernier, Budraitskis affirme que Navalny en est venu à comprendre que la source du poutinisme réside dans les années 1990 et dans les réformes favorables au marché de cette période. La «colère sociale» canalisée par Navalny était une «colère de classe», affirme Budraitskis, et la «question de justice sociale a commencé à occuper une place clé dans la rhétorique de Navalny». Il souligne les efforts de Navalny pour diriger les votes vers le Parti communiste russe, un parti célébrant sans vergogne Staline et l’Église orthodoxe, comme une indication de son caractère progressiste.

Le programme politique de Navalny n’était ni progressiste ni ancré dans un quelconque mouvement de masse. Comme le font de nombreux opposants de type «anti-corruption», il a tenté d'exploiter le mécontentement social face au caractère tordu du système politique et économique du pays. Il a affirmé que sur la base du nettoyage du pays des bureaucrates, des améliorations sociales seraient réalisées.

Ses promesses d’améliorer les soins de santé et l’éducation et d’augmenter le salaire minimum n’étaient qu’un mince déguisement pour le politicien capitaliste. Ses principales revendications portaient sur la poursuite de la privatisation de l'économie, la réduction des impôts sur les entreprises, le transfert des fonds de pension du pays vers le marché boursier et la dévolution d'un pouvoir économique important aux régions loin du gouvernement fédéral, les effets cumulatifs de ce qui reviendrait à accroître considérablement les inégalités sociales et régionales.

Ces politiques visaient à éliminer une couche d’oligarques et à en installer une autre – ceux qui gravitent autour de Navalny, ceux qui sont les plus disposés à enrôler la Russie derrière l’impérialisme américain et européen. Rien de tout cela ne peut être réalisé sur une base démocratique.

Lien de l’article en anglais:

https://www.wsws.org/en/articles/2024/02/24/msef-f24.html

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